20 novembre 2008
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16:22
Frère Antoine
Je résume donc, pour Flore, cette apparition éphémère, qui m'en évoque d'autres, plus familières. Ce samedi, j'étais tout occupée à ne pas rater le rendez-vous de mes amis en Bourgogne. Ils m'attendaient pour festoyer. J'étais pressée de les retrouver.
Eux, et la douceur du verger à l'heure de l'apéro. J'en avais oublié jusqu'à son existence. A lui, là-haut.
En une fraction de seconde, sa silhouette bizarre m'est réapparue en bloc. Debout sur sa passerelle, animée du même geste qu'autrefois, Il agite une colombe de la paix toute blanche, découpée dans une plaque de bois. Avec un mouvement de métronome, réglé sur molto ramollo.
C'est Frère Antoine . J'ai retrouvé son nom sur le web en rentrant. Quelques journalistes ont fait des sujets sur lui. Il fait descendre sa bénédiction sur les voyageurs de l'A6 , du haut d'une passerelle, près de Mâcon. C'est toujours mieux que des parpaings ! Ou des tartes à la crème, à la Belge. Quoique...
Je n'ai pas réagi assez vite pour répondre à son signe. Ca m'a agacée, car j'ai une tendresse pour ce pauvre hère.
J'aurais aimé lui signifier « bonjour », au moins. Lui montrer qu'il n'est pas si seul dans ce monde en tourbillon. Les bondieuseries, c'est pas dans mon registre. Mais, tout de même ! Un petit signe de reconnaissance, de considération. Ca ne mange pas de pain et ça peut rendre heureux. Je n'ai pas eu le réflexe. Pas assez rapide.
Là aussi, c'est un peu comme à la milonga : si tu te déconnectes une fraction de seconde, si tu n'es pas là, le regard présent au bon moment, c'est planté. Trop tard, le contact est coupé. C'est loupé, et l'invitation à danser avec. Souvent pour un bon moment. Et alors là, la solitude, tu te la gères comme tu peux.
- Accroc, Flore, tu ne crois pas, qu'il est accroc ?
- Accroc, mais à qui, à quoi ?
- Accroc. Justement, j'sais pas trop à quoi il carbure, lui. Aux gaz d 'échappement, aux âmes perdues de l'A6 ? Au Très Haut, dont il s'est approché de dix mètres ? Accroc, ça veut dire que tu es là tout le temps et que tu ne peux plus faire autrement. C'est comme ça qu'on ricane de moi. Mes copines me disent :
- t'es accroc ma pauv' Bubble, voilà tout !
quand elles n'osent pas me dire que je suis raide déglinguée .
- T'es pas bien, de refuser le restau avec nous, pour aller au tango ? Surtout si tu ne danses pas, comme la dernière fois ! T'imagines ? Nous on aura bien mangé et bien rigolé, et toi, t 'auras passé ta soirée à poireauter !
Je leur répond que ça ne sert à rien de me dire ça, de toute façons. Si je ne vais pas au tango, je vais y penser tout le temps , et je vais finir par être désagréable.
- D abord, je ne suis pas la seule à être accroc! Hein, t'as vu, Flore ? J'en connais plein d'autres qui sont là , au « Conventillo », à l'Algodon, au Caracol enamorado, ou à La Platte enchantée, presque tous les jours. On ne pourrait même pas dire pourquoi. Eux non plus, d'ailleurs.
Mais lui, ce pauvre bougre, perché là haut, il n'a rien d'un tanguero. Sauf l'assiduité de sa pratique. Et une foi inébranlable, et inexplicable.
Et aussi, il tient toujours sur son axe, enraciné, souple. Il épouse le rythme de cette drôle de musique, dans le flot des autos . Il plane sur l'humanité défilante. C'est un peu comme ici, tiens : la foule passe et repasse. Et ça bourdonne. Et sa vie à lui, au dessus, n'est que prière, espérance et communion éphémère avec l'autre.
Ca me rappelle le passage d'une chanson d'Atahualpa Yupanqui « Un dia, yo pregunte : Abuelo, donde esta Dios ? » Evidemment, le grand -père n'a pas la réponse. Et lui, l'homme de Dieu ? Qu'en sait-il ? Qu'en pense-t-il ?
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