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  • : Ce site / blog artistique et ludique a pour vocation de présenter mes productions, et celles d'auteurs invités : livres, poèmes, chansons, nouvelles, expositions, billets d'humeur sur la vie culturelle, politique, sociale et juridique, émissions de radion, compositions musicales électro-acoustiques.
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2 octobre 2008 4 02 /10 /octobre /2008 08:55


 Bulle DELAGROSNE, épouse Von FROSCH

Elle s'appellera donc Bulle. Prénom hérité d'une grand-mère un peu bigote, croyant dur comme fer à l'infaillibilité du Pape, et de parents trop heureux d'échapper au calendrier grégorien ou romain.

Plus symbolistes que cathos, les parents souhaitaient lui prédestiner du même coup la légèreté,  la grâce diaphane de l'arc en ciel, et l'élégance de ne pas peser sur autrui.

Leur patronyme, Delagrosne, leur vient d'une petite rivière qui coule et cascade, en vrai, dans le berceau familial: un bled de Basse Bourgogne. Ledit bled rata de peu sa vocation de Phare de la Chrétienté, et se reconvertit dans la fertilité du crottin, en site de concours hippiques internationaux.

Très jeune, Bulle , écervelée (fallait s'y attendre avec un prénom aussi creux), épousera Klaus Von Frosch, croisé à Heidelberg dans les années 70, lors d'une opération de jumelage linguistique dont elle n'avait pas bien cerné l'objectif.
Le caractère de Bulle  fait qu' elle décevra les espoirs aériens et sylphidesques de ses parents. Et en concevra un pénalisant inconfort existentiel.

Pas complètement toutefois.

Bien sûr on la surnommera tour à tour Boule, Bouboule, Bouille, Bille, Bubble... elle aurait mieux aimé Belle, mais ça, que dalle !  Ca n'a inspiré personne.

De la bulle elle découvrira, perdra, retrouvera, et glorifiera l'arc en ciel.

Elle gardera la fragilité aussi, toujours en train de se tordre et se distordre pour échapper à l'éclatement final qui la menace à chaque aspérité frôlée. Le pouvoir d'enfler, d'englober et digérer les pavés des petits enfers quotidiens, tout en bluffant les autres d'une fausse légèreté. Mais enfler encore ! Et rebondir plus loin, à l'encontre d'autres pavés.

 Et de temps en temps de se muter en un état plus concret, plus reconnaissable.

 Pinata, Panse, Ventre Maternel, Hall de gare d'où elle expulsera ou qu'elle garnira, de friandises colorées, éructations coléreuses, enfants dissipés (les siens ceux des autres, des adultes égarés, aussi), gros câlins, jingles et sonorités obsédantes, musiques hétéroclites, lignes culpabilisées de littérature érotique, ou magazines géographiques montrant des lieux magiques où elle  a la trouille d'aller.

Des fées totalement bourrées se sont penchées il y a un bon demi siècle sur son berceau, et ont trouvé plus rigolo de lui offrir une ribambelle de  dons déjantés, dont personne ne voulait, sortes de trousses d'urgence ou de tonnelets à décapsuler en cas de déprime ou de mort imminente.

Elle pète de trouille à chaque tournant, mais elle se dit que finalement, elle rebondit depuis longtemps, et que tout ça n'est pas si grave.

Dans son panthéon, quelques humains emblématiques (Akhenaton, Champollion, Obélix, Christiane Desroches Noblecourt, Lysistrata, Sœur Emmanuelle, Sœur Pétard tirée du trottoir pour se  consacrer aux incurables...)

Des paumés aussi, auprès de qui, elle se sent finalement très solide.
 
Elle ne peut vivre qu'en se roulant dans la couleur, ou sa déclinaison comestible qu'est la nourriture. Le résultat n'est pas surprenant. Comme elle se sent creuse, elle cherche à faire résonner en ses parois intérieures à chaque occasion,  les mots et les sons qui rebondissent bien et la remplissent : Aristoloche, Eichhorn Chen, Neuschwanstein, Besamemoutcho, Tango porténo, porque no ?..)

Elle sait qu'elle roulera encore de loin en loin de rêve en rêve, amassant les richesses éphémères du terrain où elle a chuté, tremblante,  genoux en terre, pour rebondir encore. Par trouille et discrétion chronique, elle n'a longtemps cru qu'en des valeurs sûres, laïques et autorisées: travail, diplômes, famille, jupe noire, chemisier blanc, rang de perles, thé le dimanche. A force de rouler, elle va voir d'autres concepts la valoriser...

A fleur de membrane en permanence, elle n'a pas besoin d'être rancunière. Elle passe et s'envole, alors que son incarnation vous parait affalée, triste, mal aux pieds, le nez dans une tasse de thé en attendant la Cumparsita qu'elle ne dansera pas ce soir...


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26 septembre 2008 5 26 /09 /septembre /2008 00:38


Alexis Cohen, chanteur raté, devient parfois, la nuit, Mortimer Besamemucho. Médium et écrivain, il se transforme alors en femme et se transporte à Séville ou ailleurs... Il fait des rencontre, imagine des personnages, se joue du temps, des lieux et des dieux. Le tango le happera bientôt... Pour trouver le mobile de ses crimes futurs, cherchez la femme, les femmes claro ! Par exemple, Bulle ou Flore. Voici une présentation de chacun de nos trois personnages. D'abord Alexis-Mortimer.

Alexis COHEN, dit Mortimer BESAMEMUCHO
Chanteur poète hermétique, incompris et raté, ex avocat marron radié du Barreau de TARBES pour avoir montré son cul aux bourgeois locaux et avoir joué de l'accordéon en faisant la manche, Alexis COHEN a tout raté dans sa chienne de vie.

Sa relation aux femmes est catastrophique. Ses nombreux enfants lui tournent le dos, et il ne paye pas ses pensions alimentaires. Il tire le diable par la queue, qu'il a active mais inconstante. Il va se replier sur le tango, qui lui donne l'illusion d'exister, et qu'il pratiquera au delà de toute raison, ce qui ne l'empêche pas d'être un piètre danseur, redouté dans les milongas de provinces.
Avant le tango, il avait tout essayé : le yoga, l'acuponcture, mai 68, l'université, la cuisine asiatique, la science du bonsaï, le bricolage, sa belle-mère, le chien du voisin, la bande dessinée, l'iridologie, le massage thaïlandais, les blinis scandinave, le caviar à la louche, les vacances à la plage et la philosophie bouddhiste.  Rien n'allait.
Avec le tango, il fantasme un max et devient alors Mortimer Besamemucho. Il est comme un médium, celui qui voit, se transforme et se projette. Et l'on se projette en lui.
Revenu à la réalité, le voici prétentieux et amer, écumant les bals à la recherche de cachets et de conquêtes d'un soir. Chauve, il a accumulé toute une série de moumoutes qui modifient l'image qu'il donne.
C'est que son apparence est trompeuse, et nombreuses sont celles qui tombent dans le panneau de ce bellâtre vieillissant. Atteint d'un cancer de la prostate non métastasé, il parvient habilement à se faire plaindre par des fleurs bleues en dérive, des courges insipides et des humanitaires maternantes.
Sa rencontre avec Bulle va le métamorphoser. Mais comment ? Et dans quel sens ?
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19 septembre 2008 5 19 /09 /septembre /2008 00:45


 Résumé des chapitres précédents : Alexis Cohen, chanteur raté, devient étrangement, la nuit, Mortimer Besamemucho. Medium et écrivain, il se transforme parfois en femme et se transporte partout... Il fait des rencontres, imagine des personnages, se joue du temps, des lieux et des dieux. Le tango ne pouvait que le ratraper...Voici notre Alexis-Mortimer au sortir de son numéro de charme jazzy et alumé. Un must. Bulle succombera-t-elle à l'infâme crooner ?

 

 

 

Electrochoc

http://fr.youtube.com/watch?v=7oSdBu0JSCE

 

Un électrochoc me ramène au réel. Je me sens tout à coup épaisse provinciale , dans ma jupe culotte et mes mocassins. Pas à ma place avec ma touche de Boule-plouc. Si au moins j'avais mis mes chaussures de danse ! Pas en état de côtoyer cet homme brillant, les élégantes poulettes, le seau à Champagne...Pas possible, vraiment. Et puis j'ai horreur d'être en retard au cours. Une boule glacée à la glotte, je balbutie :

 

- Je vous remercie beaucoup, Monsieur, c'est très aimable à vous,. Je vais devoir partir très vite, c'est bientôt l'heure. Et puis je ne veux pas troubler votre soirée, vous êtes entre amis.

 

- Je vous en prie, juste un petit instant....

 

Il va chercher deux coupes à sa table, et, me demande d'un sourire interrogateur qui me fait fondre, l'autorisation de s'asseoir près de moi. Incapable de résister, je sens un barrage se fissurer. Je laisse faire, le cœur suspendu :

 

- Vous semblez amatrice de jazz ? Je vous ai sentie très attentive.

 

- Euh, non pas vraiment. Je ne connais pas grand-chose. J'écoute un peu la radio le matin. Actuellement, je suis plutôt dans une période latino...Pour être franche, vous m'avez vraiment bluffée avec le scat . On n'entend pas ça souvent. Dans les films, parfois... Mais en vrai, ça fait un effet !...Je n'ai pas l'habitude.

 

- Moi non plus, plaisante-t-il, mais je m'entraîne chaque fois que ma grand-mère m'appelle au téléphone . Elle est centenaire, et sourde !

 

Menteur ? Provoc ? Il attise mon goût pour l'ironie.

 

- Vous disiez que c'est l'heure. On vient vous chercher, j'espère, si tardivement ?

 

- Pas vraiment, j'ai un cours dans la cale d'ici cinq minutes. En principe, car les profs ne sont pas arrivés.. D'ailleurs, ils ne sont pas toujours bien à l'heure, ça commence à m'inquiéter.

 

- Au milieu de tous ces baquets, vous prenez des cours de blanchisserie ?

 

- Pardon ?

 

- Excusez-moi, je plaisante bêtement. Que peut-on donc encore apprendre en pleine nuit ?

 

- Tango argentin...

 

- Hombre ! Sérieux ?.. Ca alors... !

 

- Plus sérieux qu'on ne croit. C'est pas si facile.

 

- Si je vous disais que je danse un peu le tango ?...

 

- Ah oui ? Le Tango argentin ? Je ne vous ai jamais vu aux soirées.

 

Un peu nerveusement, il sort de sa poche un bel étui et m'offre une cigarette . Amusée, je décline. Je mens bravement en lui disant que la fumée ne me dérange pas. Je n'ai aucune envie d'interrompre l'instant. Prête à payer le prix pour en savoir un peu plus. Il fume de la main gauche. Décidément quelle classe ! Je flanche.

 

- J'ai dansé juste un peu. J'ai été initié un soir par une amie , il y a quelque temps, après une répétition.

 

- Elle enseigne ?

 

- Non , mais elle dansait divinement. Je dois reconnaître que j'ai tout de suite accroché, avec cette Sandra et la sensualité de la danse. Vous ne trouvez pas ? Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis doué...mais j'ai aimé tout de suite. D'ailleurs Sandra couche avec mon pianiste, ce salaud ! Je devrais m'y remettre, avec vous, peut-être...

 

- Oui, euh... non. Enfin, oui, sans doute. C'est ce qu'on dit. Mais vous savez, à mon niveau, on est déjà bien trop occupé par la posture et les pas.

 

- Vous débutez ?

 

- Oui. Je n'ai commencé que depuis trois ans, pas tout à fait.

 

- Trois ans ? Mais alors vous devez déjà très bien danser ?

 

- Non, vraiment pas tant que ça. Pas bien du tout, même. Sans fausse modestie Vous savez, ça demande beaucoup de temps, et de pratique. Que je n'ai pas.

 

- Croyez vous que je puisse venir au cours un de ces jours ? Vous me présenteriez ?

 

- Je crois que les profs ne font plus d'admission en cours d'année. Il faut voir avec eux. Passez un soir où vous n'aurez pas charge de famille, on ne sait jamais. Il y aura peut-être un groupe débutant en janvier ? Et puis une candidature d'homme, ce serait dommage de nous en priver.

 

Il sourit, énigmatique. Et toc, pour les charges de famille !

 

Je rassemble tout mon courage pour poser la question qui me démange.

 

- Si je devais vous présenter...je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu le pianiste tout à l'heure... Un nom italien il me semble? ou américain ?

 

- Al Capone : c'est mon nom de scène, si on peut dire. A la ville, Alexis Cohen. Pour vous servir.

 

- Bulle Von Frosch . Mais au Tango, on ne connaît que les prénoms.

 

- Bulle: un prénom parfait pour reprendre une goutte de Champagne, qu'en pensez-vous ?

 

- Merci, vraiment, je dois y aller. J'ai aperçu le groupe qui arrive. Ils comptent sur moi.

 

- Je ne veux pas vous importuner d'avantage, et je vous libère, Bulle. Mais j'insiste pour venir un jour au cours. J'espère que vous guiderez avec une bienveillance tout argentine, ma maladresse de modeste crooner.

 

- Avec plaisir, une autre fois. Il faut que je file. Grand merci pour le Champagne, Alexis, et pour votre voix inoubliable !

 

- Heureux d'avoir fait si charmante connaissance, Bulle. Et n'oubliez pas... « I want to dance with you... »

 

Il se lève, resserre ses talons , s'incline, prend délicatement ma main pour un simulacre de baise-main. Foudroyée, je ne peux rien répondre qu'un sourire cramoisi. Je ramasse précipitamment mon sac à chaussures. Entravée dans le pied, je quitte ma place en bousculant bruyamment mon tabouret.

 

Les pintades ricanent. Surtout ,ne pas se retourner. J'ai les jambes en flanelle.

 

J'entends que le cours est commencé.

 

Pourvu que je ne m'étale pas dans l'escalier de la cale !

 

 

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10 septembre 2008 3 10 /09 /septembre /2008 17:42

 

 

Scat et blues


 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


http://fr.youtube.com/watch?v=NkOuLZ2zcY0

 

Le pianiste a joué une transition sans qu'on la remarque. Du blues. Lorsqu'il s'arrête , puis commence d' attaquer les prochaines notes, il invite au micro, en regardant le Toon :

 

- Al Capone! Al, c ‘est çà toi, mon ami ! Balance ton scat ! Vas-y, fais nous roucouler ces jolies colombes !

 

Tiens donc ! Manquait plus que ça, ! Voilà qu'il chante, aussi ? Le goût de la frime, pour épater sa basse cour ? Colombes, pintades, je n'étais pas bien loin. Est-ce que les poulettes vont lui donner du wap-doo-wap ?

 

Le Toon se lève sans se faire prier ,s'avance près du piano, et s'accoude crânement. Sa tête s'incline en direction des belles emplumées. Probable que Lorentz aurait pu nous expliquer pourquoi, avec tous les ressorts de la séduction animale. Son regard s'allume, s'intériorise, puis semble s'éloigner. Il place son bassin, dégage ses épaules, étire son cou, baisse légèrement la tête, déglutit, et prend une large inspiration. Le scoop, ça va être maintenant.. Et voilà que d'un seul souffle, il égrène à toute vitesse des onomatopées, sur un air connu. Sa voix monte et descend aisément. Il articule un max.

 

Ca fait plutôt américain, mais pourtant, je ne comprends rien. Une voix, chaude et colorée, qui s'amuse à grimper en fosset; il n'y a pas d'autre mot. J'en ai des frissons par vagues, du sommet du crâne au dessous des genoux. Je crois que c'est « Stomping at the Savoy ». Pas sûre. De bien reconnaître. Un air déjà chanté par Louis Armstrong, il me semble. Mais pas comme ça . Un truc pour danser.( Quand on peut , quand on sait). Ca va très vite. Trop vite pour moi. C'est pas de la soupe ! Pas des trémolos de tango non plus. Un bon vieux swing d'époque. Entre le piano et sa voix, on dirait qu'ils sont au moins quatre . Comme un quartet de barber shop song. Je crois bien qu'en plus, il en rajoute.

 

Ce n'est qu'au second titre : « Doctor Jazz » que je réalise. En fait, en plus de la mélodie, à la voix, il intercale aussi le banjo et les cuivres. Du salon de coiffure de Harlem, me voilà propulsée sur une plage, face à une immense vague de plaisir. Ca déferle . Je rentre la tête dans les épaules. Et je plonge dans cette lame puissante qui me roule , me débaroule, et me laisse comme groggy sur le sable, et me reprend .Je flotte dans la houle, avec des chatouilles en salves du creux de l'estomac jusque partout...

 

Waouh ! Fabuleux ! Fabuleuse sensation vertigineuse... Un feu d'artifice jazzy à vous finir de chavirer les allumés..

 

Démentiel . Ahurissant. Tout ça d'un trait. Mais impeccable. Pas une syllabe en retard. Ce type est un genre de métronome, qui aurait eu pour aïeuls un tsunami et une contrebasse. Une mitrailleuse à musique, tout droit sortie de chez Boris Vian. Je comprends mieux pourquoi le pianiste l'appelle Al Capone. D'où peut-être aussi le costard ? Histoire de bien habiter le personnage.

 

Pas trop captivées, les oiselles ne peuvent s'empêcher de pépier entre elles bien .avant la fin, de se montrer en gloussant, des photos sur leurs portables, d'échanger des bricoles sorties de leurs sacs minuscules. Futiles linottes. Pimpantes péronnelles. Pisseuses petites pécores. Passer à côté d'un tel talent !

 

Ou alors, il leur fait le coup tous les soirs ? Ou alors c'est leur père, et elles l'entendent répéter sous la douche depuis des lustres ? Ou alors, il paye. Mais pas assez...

 

Eberluée, secouée, épave sur la grève, je n'ai pas envie de bouger. Mais ravie.. Bienheureuse. Portée.

 

Le Toon, l'air de rien, fait rouler discrètement ses prunelles d'ardoise de mon côté. Lit-il dans mon regard ébahi, les stigmates de son effet décapant ? Ou voit-il battre mes tempes ? Je ne bouge plus un cil. Souffle coupé, bouche bée, j'attends avidement la suite. Sans concertation, le pianiste joue l'intro de « What a wonderful world..." Là, ça part d'emblée chaud bouillant. Chanson pur sucre, pur love. Pour pur crooner. Maintenant, me laisser bercer, envelopper. Sentir les puissantes lèvres brûlantes de Satchmo, sussurant près de mon oreille. Va pour l'oreille. C'est toujours comme ça que je me laisse charmer. La voix de l'Homme. Unique. Chaque fois.

 

Qu'un homme , juste à la sortie de l'adolescence- après quarante ans, voire cinquante pour la plupart- sache tenir la porte, présenter des excuses, ou même sortir la poubelle, et je suis bluffée ! Qu'il ait une voix chaude et voluptueuse... je tombe.

 

Avec leurs étalonnages de zigounettes, de biscotos, dès l'âge de la pension, et plus tard de grosses autos -c'est pareil- on sait bien que les mecs sont mal barrés pour nous plaire. Rien compris. Pour moi, dans l'ordre, c'est : la voix, les excuses, la poubelle. Evidemment, propreté et courtoisie irréprochables exigées. Pas d'ail, ni saucisson-gros rouge avant d'aller danser. Avec des exigences pareilles, les copines m'ont déjà fait comprendre que je ferais mieux de me faire nonne, ou de rester boire de la tisane devant Arte. Des litres de thé, j'en avale. Mais la réclusion, c'est pas dans mes projets. Je préfère encore l'errance. Celle qui me mène chaque fin de semaine à la « Platte enchantée », entre autres. Celle qui le ramène chaque soir au chat, les pieds meurtris.

 

Ce soir, j'ai bien fait d'errer très tôt jusqu' au « Beteljazz.». Au moins il se passe quelque chose qui sort du ronron hebdomadaire. Le Toon poursuit avec « I won't dance...Madam', with you », d'une voix suave et gourmande. En quelques secondes, nos yeux s'accordent en un jeu complice, et ne se lâchent plus . Un trouble me parcourt, mes jambes jouent la guimauve, et je ne suis plus très sûre de respirer. Evanouies les gazouillantes oiselles...

 

Il ne s'adresse plus qu'à moi. Je me laisse captiver. Lâchée par mon habituelle distance sociale. Celle qui pourrait me faire réaliser qu'il ne s'agit probablement que d'un jeu de scène. J'ai tellement envie d'y croire, tellement besoin de merveilleux. « I want to dance..." Saurait-il pourquoi je fréquente la « Platte enchantée »? A la moitié du morceau, il s'écarte un peu du piano, pour exécuter devant moi une ébauche de pas, comme une invitation. L'élégance de son léger déhanché me touche . Mon visage me brûle comme du piment. Il ondule,très proche. Je m'affole et palpite, prête à défaillir, et je m'enfonce sur mon siège, paralytique. Après, je ne sais plus trop ce qui se passe. Des applaudissements mettent fin à ce délicieux supplice. Enfin je respire. Et j'ai besoin d'un bon remontant.

 

Le Toon est retourné parmi ses jolies colombes. Fallait s'y attendre. C'est pareil quand on va danser en bas: les illusions tombent en bloc. Ca fait toujours un pincement , mais je m'endurcis. Leur seau à Champagne arrive. Je finis mon thé froid trop infusé.

 

Comme un chat silencieux, le Toon s'est glissé près de mon baril. Portant la main à son chapeau, d'un geste maîtrisé , une certaine retenue dans le ton, avec un léger accent, il m'invite à leur table :

 

- Ne restez pas seule par ce temps morose, chère Madame. Permettez moi de vous inviter à vous joindre à nous, pour la fin de la soirée. Faites nous l'honneur de votre compagnie.

 


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Sur le scat en jazz, cliquer ici.


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3 septembre 2008 3 03 /09 /septembre /2008 14:38

 

 

 


 


 


 


 


 


 


 

 

Pendant qu'elle chantait, j'ai eu largement le temps d'observer les quatre personnes qui viennent d'arriver à côté de moi. Là, on sent tout de suite le grandiose. Comme la tension qui règne avant l'orage. Ca va surgir:c'est pas possible autrement ! Ca explique mieux le tarif de la quiche : le spectacle est dans la salle. Pas bouger, observer. Etre là . Scotchée. Souris, catimini.

 

D'abord, un homme, sapé mieux qu'un Milord.

 

C'est à dire pire.

 

Costard trois pièces et panama tout blanc. Ou borsalino, je ne sais pas trop. Au mois d'Octobre.

 

Décalé, le blanc, non ? Cravate gris perle, pochette de soie. Au revers, un insigne bizarre : pas le Lion's, ni le Rotary. Taille et âge indéfinissables. Et pour cause. Avec le chapeau, on ne peut guère apercevoir une éventuelle traîtresse chevelure. Grise ? Teinte ? Eparse ?. Pas d'indice. Juste une fine moustache de « Latin Lover ». Pas du tout ce que je préfère. Des rides d'expression plein autour de ses yeux gris qui transpercent. Et le hâle fripé de trop d'heures en cabine à UV.

 

Aux pieds, d'incroyables Santiags de croco rouge. Beurk. Je n'aime pas le rouge. Avec le talon bottier, qui rehausse la stature. Pourtant, il n'est pas petit, à quoi ça lui sert ?

 

Pratiquement du même rouge que celles que le pape Ben-quinze-et-quelque portera un jour « en mémoire des martyrs ». Des escarpins Prada, par contre. ! Son conseiller en communication le sommera très vite de mettre fin à ce caprice provocant.

 

Quel goût ! Du rouge vif, comme ça , avec du blanc ... Un ersatz des attributs du coq triomphant dans la basse cour . Il ne l'a peut-être même pas fait exprès. Oui, c'est ça, j'y suis. Cocorico ! Chanteclerc et sa cour.

 

A la rigueur un joli gris nuage aurait pu convenir. Ou, dans cette boîte de jazz, des bicolores marron-blanc, style swing années 30-40 , pour prolonger l'élégance du costume bien coupé...Ca doit coûter bonbon ce genre de fringue. Vas savoir si ce type n'est pas un peu proxo ,dealer , ou gourou d'une secte ? « Les Cathares flamboyants »? « Jesus's red feets ? » « Les pieds sanglants » ? « Tacones de sangre » ? « Les talons rouges » ?. L'étalon rouge, tant qu'on y est ?

 

Tiens : il me rappelle Richard Geere, dans Chicago. Le beau gosse hyperclasse qui les a toutes à ses genoux. Pas très net dans son job, en visiteur de geôle véreux. Mais elles en sont folles. Et elles dansent divinement avec lui. Et lui aussi je crois. Ou j'en rêve secret, tiens, d'un partenaire choc et toc comme lui. Le gars de ce soir est sans doute bien moins beau. Mais avec un peu de chance, il sait danser... ? Et le truc à sa boutonnière? Rouge aussi. Mais pas une tête de légion d'honneur. Faudrait voir de près.

 

En fait non, c'est pas possible : trop voyant, ce look, pour un commerçant libéral de l'ombre, ou un sectaire patenté. Pas franchement le style Corleone, ni Temple solaire. Et mon imagination se lâche. Caracole encore d'un personnage de roman à l'autre.

 

Il ne manquerait plus qu'il porte des accessoires bizarres en dessous : tatouage, piercing, body de dentelle anglaise, cilice, comme dans Da Vinci Code ? Ca serait marrant, non ? Oui, mais il n'est pas pour autant albinos. Tant pis pour le cilice. Et l'Opus Dei.

 

 

 

Là je crois que je me fais un festival du film « sans queue ni tête ». Tout se télescope. J'aime pas quand ça part en mystico-live, comme ça.. Je ne peux pas m'arrêter et ça m'épuise. C'est une boulimie comme une autre. Les pompes rouges m'amènent à la broderie anglaise, aperçue hier, dans un Taschen. Si, si : un petit recueil de peintures. Sur un portrait d'un autre pape. Innocent X par Vélazquez. Faut le voir pour le croire. Je n'avais jamais fait attention à la dentelle immaculée, sur la robe, rouge elle aussi. Tout un surplis brodé de fleufleurs à trous-trous.. Un tableau exposé à New York, pourtant.. Un pape du XVIIème. Tout ce qu'il y a de recommandable, comme fréquentation.. Voilà, je ne suis plus très sûre, mais il me semble maintenant que ce type lui ressemble. Voyons, mais que viendrait faire un pape mort, avec des grolles écarlates, et toutefois sans dentelle, dans un piano-bar, une veille d'Halloween ? Je tourne en rond et en rouge. Les chauves-souris me sont montées au plafond.

 

Faut pas exagérer. Ma vieille Boule, réveille-toi! Madame « easy rider des neurones », tu te la pètes . A force de te tirer sur la membrane dans tous les sens, tu vas t'épuiser les fantasmes. Redescends de ton arc en ciel halluciné ! Arrêter le thé ? Jamais !

 

Ce type est juste en quête d'une image identitaire forte, et moi, je divague. La quiche daubée ? Une fièvre quarte ? Le vide sidéral de ma vie, qu'il me faut remplir d'un énorme tas de n'importe quoi, pourvu qu'ils soient amusants et colorés ? Si je continue de me remplir comme ça et de me gonfler de clichés de pacotille bariolée, je vais finir par avoir la cervelle en piñata. Et le jour où ça explose dans l'hilarité générale , je ne suis pas sûre de pouvoir recoller les morceaux, ni de rassembler tous mes p'tits trésors. Mes p'tits fantasmes, mes p'tits fantômes, mes p'tits fanzines. ...

 

Cet homme, tout droit sorti d'un cartoon ne doit pas avoir de coach en relooking. C'est tout simple. Oui, c'est ça : un Toon ! Il est un Toon. Un émule de « the Mask » ? ou des camarades de jeu de Roger Rabbit ? Ceux qui roulent en Gangster Limousine.... Dans un dessin animé.

 

D ‘ailleurs, dans quoi peut bien rouler ce genre de type ?Side-car-lunettes -gants de cuir ? Kat-kat-Safari-Trottoir ? Moto grosse cylindrée ? Hydravion, garé derrière la platte, chemise hawaïenne l'été ?

Carrosse de frimeur ? Sans doute. Plutôt ça. Faut du spacieux et du chrome qui brille, pour y faire entrer les pintades par paquets de trois, comme celles qui l'accompagnent ce soir.

 

Trois jeunes femmes très jolies. Très jeunes aussi. A elles trois, peut-être guère plus que son âge à lui ? Belles guiboles, robes fluides, talons hauts. Légères . Quand je dis trois pintades, c'est peut-être un peu exagéré, ou amer de ma part. Une seule porte une robe à pois blancs sur fond gris. Les autres en noir du soir. Mais cette agitation palpitante, ces froufroutements de soie, et ces criaillements hystériques d'oiselles cacabeuses... m'agacent . Si, si une pintade, non seulement ça criaille, mais ça cacabe aussi, selon l'espèce. Pas entendu ça depuis mes vacances à la ferme, dans les années soixante. Tout ça pour enjôler le mâle. Lui, rengorge son jabot, devant tant d'allégeance à ses signes extérieurs de virilité. Ou de fric ? Ou de quoi donc ? Est-il un tonton d'Amérique, cajolant des nièces pubères ? Curieusement, je ne perçois entre elles et lui aucune marque de tendresse, d'intime complicité. Que du tape à l'œil. De toutes façons, dans la vie, seuls trois moteurs : sexe, pouvoir, fric. A quoi lui servent-elles ? A quoi leur sert-il ? Qu'est-ce qu'elles lui trouvent, à ce Toon ? Des faire valoir ; voilà ce qu'il en fait. Les hommes murs aiment bien se montrer entourés de jeunesse. En attendant, ça minaude sec, ça tape des cils, et ça croise haut les gambettes. Ca doit être dans le contrat . Drôle de groupe. Je tourne en rond mes hypothèses. En blanc, en rouge, dans la lumière orange. Moi qui n'aime que les nuances froides acidulées, apaisantes. Je ne suis pas dans mon élément avec ces couleurs amères et fortes. Ca commence à m'impatienter, tout cette futilité.

 

Vivement 21h, et le cours.

 


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26 août 2008 2 26 /08 /août /2008 17:24


Alexis Cohen, chanteur raté, devient étrangement, la nuit, Mortimer Besamemucho. Medium et écrivain, il se tranforme parfois en femme et se transporte partout... Il fait des rencontre, imagine des personnages, se joue du temps, des lieux et des dieux. Le tango ne pouvait que le rattraper... Voici notre Alexis-Mortimer dans son numéro de charme jazzy et alumé. Un must. Bulle succombera-t-elle à l'infâme crooner ?

 

Pas loin de trois ans ! Trois ans de galère sur ce rafiot. Je ne sais même plus si j'ai hésité et si j'avais été prévenue par quiconque. Je n'aurais pas entendu, de toutes façons. Je l'ai voulue cette galère, et j'ai signé. Embarquée tête première ! Mais sans arme ni bagage. Juste un boulet à chaque cheville. Et vogue...

 

Mais ici, pas de « fluctuat », ni de « mergitur », voile d'argent hissée , sur un bel écu de gueules et d'azur. Passe encore pour les couleurs. Mais le navire, ça, ça en jette à qui n'a pas le pied marin.

Depuis mes derniers rêves de caravelle, il y a bientôt quinze ans à Séville, l'âme de l'Amiral Colòn me soutient par delà l'Atlantique, dans des désirs d'ailleurs. D'autres pays, d'autres visages, une autre langue, d'autres rites, d'autres jeux. .. Et ces danses piquantes ! Mon enveloppe immatérielle, celle qui s'élève, sphérique, follette et irisée, ne demande qu'à s'envoler loin, et à planer au dessus de l'Océan. Avant de rebondir, tournoyer, et toucher une autre rive. L'Amérique, hémisphère sud . Comme Cristobal et ses compagnons.

 

Mais pour le moment, je frissonne mollement dans l'humidité grise et saturée.. J'attends.

 

Attendre, il a bien fallu s'y faire . Savoir faire de l'attente, non un seulement un repos, où prendre des forces, mais aussi une stratégie. Des heures, à ne pas laisser s ‘évader totalement le regard dans l'ennui, ni le désespoir.. A en faire au contraire du temps un allié précieux. A tenir en réserve un potentiel sourire. Distingué, accueillant., reconnaissant, sans trop, le sourire... Mais énigmatique. Ou pétillant, selon. Ça accroche mieux.

 

Pour l'heure j'attends, sans véritable inquiétude . Ce n'est pas encore l'heure .Donc j'attends. C'est tout.

 

Je n'ai pas bien chaud. J'ai besoin de m'agiter un peu intérieurement pour me réchauffer.

 

J'entends encore, au téléphone, Contanze me dire, voici trois ans : « alors profites en pour faire quelque chose d'énorme, difficile et gigantesque ! Mais surtout unheimlich, inhabituel . (unheimlich est un de mes mots préférés. Pour la rondeur du u, la douceur apaisante du h expiré, et la sensualité du ch qui ne peut être que chuchoté langoureusement). Quelque chose qui te paraît impossible, unmöglich. Ce que tu n'as jamais osé. Vas-y ! Los ! ».

 

Si j'avais su à quel point ça me paraîtrait difficile et même impossible ! Pas le moindre soupçon..

 

Depuis, j'ai eu le temps de prendre la mesure. De la hauteur à laquelle j'ai placé la barre.

 

Ce soir, je n'avais pas le temps de rentrer à la maison après le travail. Prévoyante, j'ai toujours une paire de chaussures dans mon vestiaire. Un raccord de toilette au lavabo, un petit coup de déo, et c'est parti. Tant pis, je vais attendre un peu seule, mais ce sera moins fatiguant que de faire l'aller et retour. Le chat patientera jusqu'à mon retour à minuit.

 

En fait, ici, je me sens plutôt bien. Un peu comme chez moi, depuis tous ces mois. Le cadre décalé et désuet de « la Platte enchantée » m'est devenu familier et protecteur.. Ce vieux bateau lavoir qui a bravé le temps, s'est refait une jeunesse. Au point qu'on pourrait le croire péniche, ayant su voguer un jour. Le meilleur parti a été tiré du peu de volumes.

 

A l'étage de l'accueil, un bar, le « Beteljazz ».Au plafond, un ciel noir étoilé, scintillant faiblement de petites loupiotes, comme sur les sapins de Noël contemporains. Sur les cloisons, quelques vieux 78 tours du temps du swing. Des tonneaux métalliques ( sont-ce des barils ?) servent de tables.

 

Et au fond un piano. Noir, bien sûr. Noir du ciel, noir du fleuve, noir du jazz. 
 
 

Dans la cale, autre atmosphère. Avec pas grand chose, ni personne dedans. Normal, ça se veut ancien, historique, écologique. Quelques hublots permettent de voir le reflet des lumières du quai, sur le fil de l'eau. Du bric à brac, chiné dans les brocantes, évoque les lavandières d'autrefois, et fait office de décor. . .Tout autour du plancher délavé, des baquets de bois, des paniers d'osier, des planches à laver striées, avec des blocs de savon de Marseille tout effrités. Aux parois, quelques battoirs dignes de Gervaise, et des publicités anciennes pour le savon Le Chat , ou la lessive Tulipe. Quelques bancs, pour attendre son tour à la planche, retrouvent ici toute leur utilité. Plus vraiment d'odeur de lessive. Seulement celle du fleuve et de la moisissure . En hauteur, ponctuées de pinces en bois, des cordes à linge. Oui, mais zut, il paraît qu'il ne faut pas dire corde sur un bateau ! Des bouts, ou des drisses, alors ? Moi qui ne connais plus que le sèche-linge...Ca nous transporte direct à Saint-Malo ou aux Glénans...Ca houle et ça roule. Au fait, la « Platte enchantée » est -elle un bateau ?

 

Trois ans de galère dans cette cale. Pas le bagne, non plus. Je suis volontaire, et même, dit-on, addict, accroc.

 

Ce soir je suis finalement en avance, et j'ai presque une petite heure à tuer. Faim aussi. Faim à tuer. Comme d'hab'. Si je ne mange pas , je ne vais pas pouvoir tenir tout le cours. Je demande au comptoir une mini quiche , et un thé bien chaud. Tant qu'à faire, je m'approche du piano bar. Une douzaine de clients, plus ou moins attentifs, autour d'un apéro attardé , sur des fauteuils bas, dans un décor d'Halloween. Oui, tiens, au fait, c'est cette fin de semaine. Ca n'amuse plus personne, mais on continue de sacrifier à l'épouvante de pacotille. De la toile d'araignée synthétique, quelques chauves-souris qui se balancent. Un projecteur orange.

 

Ca ne suffit pas vraiment à me transporter en rêve. Mais ça donne aux personnages un air de pensionnaires du « Rocky Horror Picture Show ».. Et ça fait couler la bière irlandaise. Près du piano, une grande femme, élégante et triste, interprète Summertime de Gerschwin. Très propre, pas un couac. Très morose, aussi. C'est peut être la faute au brouillard ? C'est bizarre. D'habitude, cette chanson me réchauffe le cœur dans une odeur de foin coupé sous le soleil . Avec aussi les grillons, les cigales , et le vent tiède dans les pins. Et la torpeur de l'été me donne, à moi aussi, envie de chanter du jazz, bien torride, malgré ma voix creuse.. .Cette fois rien de tout cela. Pas vraiment d'émotion.

 

Au mieux, la femme austère me fait penser à une présentatrice de météo un matin brumeux. Ou au pire, à Nana Mouskouri, tendance Morticia Addams. Ca doit être le thème gore de la semaine qui déteint sur elle. Ou sur moi. Et sur mes rêveries . C'est plus fort que moi, j'adore les associations d'idées, les coïncidences qui n'en sont pas. Qui me rassurent. Et les caricatures vivantes . Et les surnoms secrets et irrévérencieux.

 

J'ai des « p'tits jeux », comme ça pour tuer l'ennui. Ca tue un peu sur l'appétit, aussi. Avec l'aide involontaire de congénères, innocents de leur rôle. Sous mon apparence d'oie blanche effrayée, se cache une polissonne assez irrespectueuse. Sur Summertime, j'ai mes petites habitudes, dont je n'aime pas déroger. Je m'amuse toujours à deviner quand l'interprète va marquer la césure ; la syncope. Mentalement, j'essaie de fredonner, et je suis toujours en décalage. Avance ou retard. J'aime ce pari stupide et silencieux..Ca ne coûte rien et ça n'amuse que moi. Deux atouts prépondérants. Cette fois, rien capté, et je me suis laissé distancer. J'ai encore perdu. Aucun effet de rythme. Rien.

 

Nana-Morticia salue sans sourire. Elle est applaudie bien courtoisement . Elle retourne à son Vichy-fraise, seul à l'attendre sur son tonneau.

 

J'irais bien, moi aussi, m'essayer près du piano, inconsciente que je suis. Mais bien sûr, je n'ai rien de prêt. Surtout pas la voix. Rien préparé, et j'ai peur du public. Et de moi-même surtout. Un jour, peut-être. 

 

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22 août 2008 5 22 /08 /août /2008 16:46

 


Alexis Cohen, chanteur raté, devient parfois, la nuit, Mortimer Besamemucho. Medium et écrivain, il se tranforme alors en femme et se transporte à Séville ou ailleurs... Il fait des rencontre, imagine des personnages, se joue du temps, des lieux et des dieux. Le tango le happera bientôt... Pour trouver le mobile de ses crimes futurs, cherchez la femme, les femmes claro ! Voici Bulle et Flor...

 

 

C'est comme un soir d'été avant l'orage , lorsque des perles d'écume crémeuse éclatent mollement à la surface du marécage engorgé . Ma mémoire rejette par chapelets de « plop ! ...plop...plop ! » légèrement méthanoïques, le trop plein de scènes anciennes, échappées du numéro d'écrou auquel elles étaient rivées.

 

Ca remonte comme ça, en lâcher de ballons . Souvent liés, semble -t-il d'un solide fil Les uns donnant parfois du sens aux suivants. Pas toujours. La plupart glissent aisément, s'insinuent et trouvent leur place silencieusement parmi le bric à brac de mon panier aux souvenirs. D'autres m'égratignent un peu au passage, se débattent. Je ne sais pas où les ranger, ni quoi en faire. Ni comment, en fait, m'en débarrasser une bonne fois.

 

Mais je ne peux plus interrompre le processus.


Paris-Match, février 1967 : André Malraux inaugure l'exposition Toutankhamon au Petit Palais

 

- Bouboule, la soupe est servie !

 

Je suis claquée. J'en ai marre. Affalée d'un bloc sur mon lit avec le Paris-Match d'hier, j'ai envie de pleurer. Mon cours de danse classique ne s'est encore pas bien passé. Va falloir que je leur dise que je ne veux plus y retourner. Divina Kalinkova, m'a encore crié après, avec son terrible accent russe:

 

- Hé toi, la bas, la p'tite blonde !

 

Ca fait trois ans que je viens au cours, et elle ne sait toujours pas mon prénom. Bulle, pourtant, c'est pas banal. Je ne savais pas que j'étais une petite blonde. On ne m'avait encore jamais appelée comme ça. Petite grosse, oui, dans la cour de l'école. Elle a dû le penser et pas oser le dire. Je n'ai pas compris qu'elle s'adressait à moi, ça l'a énervée, et elle s'est approchée avec sa baguette, menaçante, pour me faire peur : « Ta cinquième, c'est pas bon . Rrrectifie moi ça ! Mieux que ça ! Encorre ! ».

 

- Bouboule , tu viens manger, oui ? »

 

C'est une idée de mes parents, ça, les cours de danse. Parce que dès que j'ai pu tenir correctement un crayon, j'ai dessiné des danseuses étoiles. Yvette Chauviré, Claire Motte, Claude Bessy.... Je les trouvais belles, élégantes, inaccessibles. Surtout le chignon piqué de fleurs blanches sur un cou immense. J'aurais bien aimé être jolie comme ça ! J'arrivais bien à reproduire le galbe du mollet sur le chausson satiné, tendu en pointe.

 

Ca me donnerait « de la grâce et du maintient », avec dit le pédiatre. La grâce, c'était quoi, au juste ?Jusque là, je croyais que c' était un état recommandé par l'Eglise. Je ne vois pas le rapport . La danse, j'avais pas envie pour moi. Pas en vrai. .

 

Ma mère m'a inscrite. La première année, ça m'a beaucoup impressionnée : il y avait une vraie vieille pianiste pour nous accompagner dans les exercices. Toujours les mêmes. Et Divina portait des tenues incroyables. Depuis, un gros magnétophone à bobines et à bande a remplacé le piano. Et toujours les vieux exercices du piano sur la bande. Et j'ai fini par faire des progrès. Des fois ça va presque pas trop mal. Les pointes, j'y arrive plutôt bien car j'ai beaucoup de forces dans les jambes. Je peux tenir longtemps . En vacances je fais du vélo avec mes cousins. J'aime sentir mes muscles en pleine puissance. Mais la grâce et tout le tralala, ça ne vient pas.

 

 

Le pire, c'est pour les galas de fin d'année. Mettre ces collants chair épais et ce tutu de Nylon ,toujours trop petit, qui serre et qui gratte ! Quel calvaire ! Ma mère est ravie, elle prend des photos. Je fais mine de sourire.

 

A l'entrée en 6ème, l'an dernier, j'en avais glissé une dans mon porte-carte, au dos de mon abonnement au trolleybus. Ca n'a pas loupé. L'autre jour pendant le cours de maths , tous les garçons du fond rigolaient en se passant un papier. Quand il est arrivé à moi j'ai compris qu'ils m'avaient piqué ma carte dans ma sacoche. Trop tard, quelle humiliation ! J'me sens pas belle. Pas du tout. Non, décidément, il faut que j'arrête définitivement la danse. Ce n'est pas pour moi. Plus jamais.

Comment je vais leur dire ?

 

- Bouboule, ça va être tout froid !

 

J'en ai marre de penser à tout ça.. J'ouvre le Paris-Match. Et là, au lieu des habituelles photos de la famille de Monaco, des images étonnantes. En première page, le buste en bois d'un jeune garçon efféminé et maquillé, au regard quasi vivant, porté sur une caisse plate, en avant d'un cortège. Comme en triomphe. Et des statuettes de toutes tailles, des meubles, des scènes peintes, des bijoux. Le tout est très coloré. Des personnages et des animaux stylisés. .Partout une grande maîtrise des proportions. Mais surtout quelle explosion de couleurs ! Immédiatement je suis captivée, séduite. Le jeune roi Toutankhamon , sorti de l'oubli il y a plus de quarante ans déjà, nous fait l'honneur de venir, pour quelques semaines, à notre rencontre en France. Sur son trône, on le voit dans sa vie quotidienne, avec son épouse Ankhsenamon. Leurs tongs aux pieds ont la même forme que les miennes pour les vacances à Collioure. C'est bien la preuve que c'étaient des gens comme nous.

 

D'après les commentaires des photos, ils chassaient, pêchaient, mangeaient, jouaient de la musique, se parfumaient pour danser. Apparemment des danses bien plus acrobatiques que les nôtres. Ils savaient vivre. Ils me plaisent déjà, et j'ai envie d'en savoir plus.

 

L'an dernier, en Histoire, on a étudié Rome et la Grèce J'ai trouvé ça très fort, mais terriblement militaire, figé et gris. Au mieux, bicolore, sur quelques poteries. Les statues sont aussi impressionnantes de puissance que leurs civilisations. Mais jamais bien gaies .

 

Les égyptiens, eux, me semblent immédiatement plus réels, crédibles et sympathiques.

 

Et dans les dernières pages, les murs du tombeau, les sarcophages, le masque d'or. Stupéfiant ! Magnifique ! Je ne savais pas que la mort pouvait rendre si beau !

 

- Bouboule, ça suffit, tu viens manger, sinon tu vas t'endormir !

 

- Oui, M'man, j'arrive.

 

- Ca n'a pas l'air d'aller, Bulle ? C'est le cours de danse ?

 

- Bof ... euh, non...ça va, toujours pareil.

 

- Et bien alors, qu'est-ce que tu as ?

 

- Euh, ben...je voudrais aller voir Toutankhamon à Paris.


Le Caire, juillet 78

 

- Hello Mister Big Moustache !

 

Le patron de l'échoppe la plus proche du Sphinx tente d'attirer Klaus dans sa boutique. Klaus porte une épaisse barbe fournie . Cela amuse le marchand . A cette époque là, en Egypte , la moustache nette sur un visage bien rasé suffit à marquer la virilité. Rares sont les hommes de la ville qui laissent envahir leurs joues pour des raisons religieuses. Les prêtres coptes, peut-être, mais ils n'évoluent pas dans la zone touristique des pyramides.

 

- Non Klaus, on n'y va pas maintenant, dis lui qu'on reviendra demain ». Je suis impatiente d'arriver au Musée.

 

Arrivés hier soir tard à l'hôtel Oberoi, nous n'avons rien vu des lieux. Juste le temps de prendre le dîner dans les boiseries de la grande salle Omar Rhayam. Et d'admirer les danseuses égyptiennes en costume léger richement pailleté,.accompagnées de leur chant. Pour nous des syllabes imprononçables. Klaus, fatigué, n'a pas semblé pas subjugué. Au mieux, amusé. La danse n'est pas sa tasse de thé, c'est le moins qu'on puisse dire.

 

Après une longue pause suivant les désastreuses années « turlututu, m'as tu vue dans mon joli tutu ?», j'ai fini par réconcilier un peu mon corps avec le verbe danser. Mais avec des danses moins risquées et plus habillées. Au début des années 70, les dimanches de pluie, tapis roulé et vieux Teppaz à fond, Maman et la mère d'une amie nous avaient initiées, à quelques danses de salon. La valse nous faisait rêver et nous étions déjà au Bal de l'Empereur, pour y trouver un fiancé. .

Klaus, la lunette sévère, aurait pu être crédible dans le rôle d'un Kaiser d'opérette.

 

 

Ce matin, alors que je m'emplissais le regard de Képhren, si proche de la fenêtre , malgré ses cent mètres de hauteur de pierres, Klaus est sorti de la douche, la taille serrée dans le drap de bain, tortillant des hanches en chantant « Yamaaa yaa, kling, kling, Yamaa yaa , kling, kling» . Explosés de rire devant notre orientalisme naissant, nous voilà partis pour une belle journée !

 

La scène, il me la rejouera des dizaines de fois au cours des années suivantes, avec un succès intact.

 

Mais aujourd'hui, je suis habitée d'une grande énergie. Je vais enfin rencontrer en vrai, sans doute dans la plus belle salle, mon premier et éternel amour d'enfance , le roi Toutankhamon.

En 67, mes parents n'avaient pas donné suite à ma demande, qu'ils jugeaient superflue, ou hors d'atteinte. J'avais été frustrée de ce manque longtemps. Mais à l'époque, on considérait la frustration comme pédagogique.

 

Klaus et moi n'ayant encore jamais voyagé, j'avais fortement insisté pour délaisser Venise, et engager une bonne partie de l'argent du ménage à ma quête de merveilleux. Avant le départ, j'avais acheté et lu tout ce qui était disponible dans mes prix, à la librairie de l'Elfe étourdi, mon repère, près de Saint-Jean. Des ouvrages de vulgarisation, mais aussi quelques monographies très ciblées sur la statuaire de la période post-amarnienne.

 

Palpitante de dix ans d'attente et de préparation, je pénètre dans le vénérable Musée avec ferveur et exaltation.

 

Un peu étonnée, je porte un regard attristé sur les vitrines certes bien garnies, mais vieillottes et poussiéreuses . Les étiquettes qui désignent les objets doivent bien dater de Maspéro, écrites à la plume sur un papier jauni. Je n'aurais pas dû aller au Louvre avant, moins légitime, mais plus riche, donc mieux entretenu.

 

Au moins, ici, tout est vrai.

 

La salle du trésor de Toutanhkamon est tout de même balisée par quelques pancartes à l'effigie du masque d'or. Ca me rassure et me presse à la fois. Plus que quelques instants avant la rencontre. « Attends moi, Tout', mon amour, ne bouge pas, j'arrive ! » Comment bougerait-il, d'ailleurs, le patient éphèbe, sous des centaines de mètres de bandelettes, et trois sarcophages emboîtés ?

Passant la porte de la salle, mon cœur vacille... et manque de s'arrêter.

 

Sur la première vitrine, une petite affiche provisoire rédigée en anglais, prie le public « d'excuser l'absence temporaire du roi et de son trésor pour cause d'exposition à Los Angeles ».

Quelle claque !

 

Bien entendu, l'agence de voyages s'était faite discrète en ne livrant pas cette info. Décidément, cette rencontre n'était pas au programme de ma vie...Dépitée, vide, abandonnée. On ne peut plus compter sur personne.

 

Si même un jeune garçon momifié depuis plus de trente siècles parvenait à m'échapper aussi impunément, qu'en serait-il de ma vie sentimentale auprès des vrais hommes bien vivants de mon époque ?

 

Berlin

 

 

« Brille abziehen ! » , me crie la Wopo du Checkpoint Charlie. Elle ne rigole pas avec le règlement. Le visage du candidat au retour de l'Est, vers l'Ouest doit être conforme à la photo des papiers d'identité. Donc, pas très rassurée, je ne discute pas , et j'enlève mes lunettes.

 

Ouf, elle m'a laissée sortir. Je tremble encore un bon moment.

 

Déjà secouée par la journée étrange que nous avons passée. D'Ouest en Est, puis d'un métro à l'autre, nous avions l'impression d'être suivis par un vieil homme solitaire. Que voulait-il ? Dans certaines stations désaffectées, où le train ne s'arrête pas, des soldats en arme, braquant préventivement leur mitrailleuse sur la rame, veillaient à la sécurité et à la discipline des voyageurs.

Conni nous a emmenés au Musée de Pergame, côté Est.

 

Quelle magnificence, importée tout droit de l'antiquité du pourtour méditerranéen !

 

Les bâtiments complets du forum de Pergame, l'allée en brique bleues des Lionnes et la porte d'Ishtar de Babylone ! Tout était là, à l'abri sous de grandes verrières. Séquestré au vu et au su du monde entier . Les archéologues ne s'étaient pas enquiquinés, et comme leurs collègues français, avaient raflé et rapporté tout ce qu'ils pouvaient.

 

C'était décalé et émouvant de se retrouver là, dans une ville d'un d'ailleurs lointain, et mythique, cerné par des murs barbelés d'une autre ville, si proche et si distincte.

 

Il y a deux mois, j'avais appelé Constanze Landowski, ma correspondante Allemande depuis onze ans.

 

- Hallo, Conni, wie geht's ? Ca va? Tu sais quoi? Toutankhamon passe à Berlin en mai ! On peut venir vous voir, toi et lui ?

 

- Freilich, Bubble ! Ich freue mich ! très contente de te retrouver!

 

Elle avait tout préparé aux petits oignons . Y compris les roll mops de la Baltique, à la crème et aux pommes acides.

 

Et un parcours touristique dans mes goûts. Pergame, c'était la mise en jambes .

 

Maintenant ça devient le gros morceau, tant attendu. Avec tout le musée d'égyptologie de Berlin, c'est du lourd. Cette fois, j'ose à peine y croire, il ne m'a pas fait faux bon, le joli prince. Toutankhamon, et à sa suite, tout son trésor. Tout est bien là.

 

La rencontre, sous bonne garde, parmi les vitrines haute-sécurité, est longue et langoureuse. Prendre le temps de tout voir, tout mémoriser. Et la séparation de fin d'après-midi déchirante. Pour moi. Quand le reverrai-je ? Grand-mère un jour, avec une ribambelle de petits enfants ?

 

Lui, continue de vivre placidement sa vie de macchabée sacré, lyophilisé, déplacé, loué, adulé, glorifié.

La gloire et la louange, il a connu ça brièvement dans sa première vie. Il assume encore. Même mort, il nous survivra !

 

Adieu mon beau prince, qu'Amon te protège toujours dans ton long périple !

 

Heureuse et triste à la fois, je suis épuisée par toute cette après-midi d'émotion. Les yeux dans le vague.

 

Klaus est descendu depuis un moment prendre une bière en terrasse. On n'est pas à Berlin pour rien, quoi !

 

Conni me tire par la manche :

 

- Komm ! Tu n'as pas tout vu. Da steht noch Nofretete. Viens, on va juste à côté, voir Néfertiti !

 

Dans une petite salle cubique, obscure, un cube très lumineux, à mi-hauteur, contient le buste de la reine.

 

« Splendeur d'Aton, la belle est venue », ou « la belle qui marche » : Neferaton Néfertiti, la bien nommée. Belle mère, entre autres, de Toutankhamon. On la dit « venue », sans doute en référence avec ses origines d'un pays voisin, situé plus au Sud. A moins que ses contemporains n'aient été impressionnés par sa démarche altière. Dansait-elle à la cour ?

 

Le buste est là, dans sa chasse de verre, habitant à lui seul toute la salle. Des traits droits, des couleurs mates, ocres rouge, noir. Splendeur, c'est bien le mot .Par sa simplicité, le racé de ses traits, et son élégance, elle éclipse à elle seule toutes les dorures des trésors de l'antiquité . Ils flattent le penchant de l'homme pour les biens matériels. Elle se contente d'exister. Je comprends en un long regard sur cette femme, la portée de ce qu'on a désigné comme la brève hérésie de Tel el Amarna. Abandon du culte d'Amon et des dieux annexes, au profit d'un monothéisme tourné vers Aton, le dieu soleil. Néfertiti et son époux Akhenaton, se font représenter par les artistes officiels, sans tricherie, tels qu'ils sont, dans leur vie quotidienne parmi leurs filles. Lui en particulier, mal rasé, voûté, légèrement bedonnant, si facilement reconnaissable à son look pré-gainsbarien.. Elle toujours si majestueuse, dans toutes ses apparitions, peintes ou statufiées dans les ouvrages traitant de cette période.

 

Il y a bien longtemps que j'avais aperçu son image stylisée, sur les flacons d'une gamme de produits de beauté des années 60. Et voilà qu'à l'instant, sans y avoir été préparée, je suis éblouie et touchée par cette femme qui ne m'attendait pas. Elle semble me considérer de son œil énigmatique, avec une bienveillance amusée. Je vais devoir ; encore une fois à regret, prendre congé..

 

Conni propose d'aller rejoindre Klaus, et prendre « ein Bierchen ». Je commande un thé bien noir pour me remettre.

 

Lyon

 

J'ai réappris progressivement à accepter l'idée de mon corps dans la danse, mais ce que j'aime vraiment, malgré mes piètres talents, c'est chanter. Pas seule, en groupe. Depuis la naissance de mon deuxième enfant, voici près de vingt ans, je me suis inscrite dans une chorale. Comme une urgence. Klaus pratiquait du sport trois fois par semaine. J'avais besoin aussi de me réaliser autrement que dans le travail et la maternité. J'aime me laisser porter par les voix profondes des hommes et des femmes autour de moi. Le groupe de Gospel annoncé sur une affiche près de la boulangerie, allait me combler. C'était un bonheur de sentir déferler les chaudes tonalités du chœur des basses, debout juste derrière moi. La voix ! Formidable moyen de communication, soutenant la parole, mais aussi une foule d'autres modes d'expression. Carte d'identité, aussi, toujours singulière d'un sujet à l'autre. Et pour certains, quelles possibilités !

 

Au gré des déménagements, j'ai voyagé aussi de chœur en chœur. De voix en voix.

 

A Lyon depuis nombre d'années, j'ai pris mes petites habitudes. Entre autres à la librairie de l'Elfe étourdi, dans le vieux Lyon. Le libraire, myope et boiteux , a accumulé ici un fatras de bouquins sans âge, traitant de sujets abracadabrants. Dont de petits trésors insoupçonnés. Je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué, et à m'en délecter.

 

Voici deux ou trois fois que je croise dans la boutique, une grande belle femme brune, longiligne et énigmatique. .Peu loquace, et respectueuse du silence dans ce petit temple voué à la lecture, elle semble connaître avec précision les ouvrages qu'elle recherche. Une érudite sans doute. Elle m'impressionne. Non seulement par sa beauté, mais plutôt par sa ressemblance frappante, dans les traits et dans l'attitude recueillie, avec la statue vue à Berlin, il y a longtemps. Néfertiti, oui c'est bien son double ! Relookée contemporaine, les cheveux noirs lâchés sur les épaules. Mais les pommettes hautes, la bouche dessinée, légèrement relevée de couleur... Pas de doute, on s'est déjà rencontrées, mais elle ne m'a pas vue. Par rigueur ou intransigeance, ou par un amusement qu'elle ne laisse pas transparaître, mais dont je la soupçonne, elle demande au vieux libraire, les livres dont personne n'a connaissance, et que lui sait être au deuxième rang des rayons les plus haut placés. Il semble même qu'elle prenne un malin plaisir à le faire grimper en haut de son échelle, pour le voir triompher et rapporter l'ouvrage rare. Royale, elle paye sans discuter une somme astronomique et repart lourdement chargée de ses trésors. Elle remercie le libraire d'être aussi patient et bien achalandé. Et sort calmement sans un regard alentour. Curieuse personne. Evidemment, aucune idée de son nom . En pensée, je la surnomme Mystère-Nefer, et j'espère la recroiser un autre jour encore.

 

Mon regard tombe sur une affiche du Muséum, annonçant une expo sur les Inuit. 

 

Lyon, Muséum d'histoire naturelle, un dimanche d'avril 2003

 

Mon terrain de jeu favori : le Muséum d'histoire naturelle.

 

Les Lyonnais l'appellent encore Musée Guimet. Depuis le collège, je viens converser ici avec les témoins du passé de tous les continents . C'est ma façon de m'évader, de voyager, mais aussi de m'enraciner dans l'humanité.

 

La première fois, à douze ans, j ‘étais venue pour mesurer la relativité des âges et des proportions, auprès de l'immense squelette central, recommandé par une camarade.

 

Puis pour les papillons innombrables et chamarrés, dans la galerie, au premier.

 

Pour le passé de ce bâtiment magique, autrefois patinoire, lieu de divertissement.

 

Et aussi bien sûr, pour les momies !

Pas toutes. Les Egyptiennes seulement. Même de simple extraction, comme on pourrait supposer celles-ci, sans dorure, sans gros bijoux. Il y avait bien un cadavre de Péruviennne, conservé au sous-sol, portant même une trace de trépanation. Exposée recroquevillée en position fœtale, près de la jarre de terre dans laquelle on l'avait trouvée.

 

Mais bizarrement, je ne me sentais pas d'affinité avec elle. Pas de dessin coloré, pas de viatique , ni de prière écrite avec un alphabet extraordinaire . Rien qui m'attire. Je m'en serais bien excusée auprès d'elle, car après tout, elle avait droit au respect, comme tout être humain. Mais elle ne me faisait pas rêver.

 

Cette momie là, un jour serait vengée très largement de mon indifférence. Chaque semaine, bien plus tard dans ma vie, j'aurai à supporter de rester des heures, moi aussi figée, rigide, invisible, inexistante, aux yeux des humains qui passaient près de moi. Avec qui j'aurais tant aimé faire un tout petit bout de chemin, même, et surtout, à reculons, un tout petit instant de leur vie si bien remplie.

Hélas, pas intéressante, je ne les ferai pas rêver...

 

Des efforts avaient été faits pour rendre ce lieu d'histoire plus vivant.

 

Des concerts , par exemple.

 

Le 8 décembre 2002, une soirée portes ouvertes accueillait au département de paléontologie, une chorale franco-allemande. Ca m'avait attirée. « Chant-Allemand-Guimet » : cherchez l'erreur ? Rien à jeter...On y va !

 

Quand Klaus, qui n'en loupait pas une, lâcha à haute voix, sarcastique :

 

- Hé, La Bille, t'as vu tous ces vieux ? On les a amenés parmi les squelettes pour les habituer !

 

Etouffée de honte et furibarde, je quittai les lieux ipso facto, dix mètres devant pour bien marquer ma colère ! La prochaine fois, il n'aurait qu'à croupir devant la télé, jusqu'à en devenir vieux lui-même !

 

Le Muséum ce printemps, présente une expo sur les Inuit, leur art, leurs traditions.

 

Je suis venue seule, cette fois-ci.

 

Alphabet, statuettes , shamans, tout me touche . Eux, ils sont encore là, établis depuis longtemps près de nos cousins Québécois. Ils vivent avec modernité, tout en préservant leur culture.

 

J'approche de la fin de ma visite, quand le haut parleur annonce « Le concert Inuit aura lieu dans cinq minutes. Mesdames et Messieurs, veuillez vous approcher de la rotonde, et éteindre vos téléphones mobiles. »

 

Une farce ? Un gag d'un gardien facétieux ?

 

La foule se presse, intriguée.

 

Dans la rotonde, une douzaine de jeunes gens, majoritairement des jeunes filles, et quelques moins jeunes, sont déjà en place, debout en cercle.

 

C'est ça des Inuit ? Sans bottes de peau de phoque ni anorak ? Ces jeunes gens sont simplement en jeans et pulls d'hiver. Tous le type asiatique à larges pommettes.

 

Un silence attentif se fait. Deux d'entre eux, diamétralement opposés sur le cercle, avancent pour se faire face au centre. Assez près pour s'enlacer et danser. Mais non. En fait, ils conversent en dialogues rythmés de syllabes soufflées, expulsées du diaphragme. Un souffle profond, ventral, originel. Soit chantées, soit éructées, soit les deux à la fois, on ne sait pas comment. Après une ou deux minutes au plus, deux autres se placent au centre . Et ainsi de suite.

 

Jamais entendu un son pareil. Quand je suis touchée par une voix ou un instrument, je ressens des fourmillements du sommet du crâne au dessous des genoux. Dans mon hébétude, je reste bouche ouverte et regard fixe. Imaginant au loin, les étendues glacées dans une lumière solaire incertaine. Et quelques tepees, ou des igloos ? Je ne sais même pas ça, en sortant de l'expo.

 

Mon regard suspendu est soudain interrompu par la présence d'une silhouette incongrue au milieu les tepees.

 

Une jeune femme longiligne, au visage fin. Brune aux cheveux longs et sages, sur un strict tailleur classique. Je mets un certain temps à réaliser. Bien sûr, je la connais de vue !

 

 

C'est Miss Mystère-Nefer ! Néfertiti, réincarnée en cliente intello et pressée de l'Elfe étourdi...

 

Tout s'embrouille : époques, continents, alphabets. Mais qu'est-ce qu'elle fait là, mon Amarnienne, au milieu des Inuit ?

 

Cette fois-ci, elle m'a vue. Et peut-être même reconnue. Un petit sourire discret, auquel je réponds intimidée.

 

A la fin du concert, elle s'approche de moi.

 

- Bonjour, ça vous a plu ?

 

- Ben , euh, oui.. enfin c'est tellement étonnant. Je ne connaissais pas. Je ne sais pas quoi en penser. Et vous ?

 

- Oui, oui je les ai trouvés formidables !

 

- Ah bon, vous les connaissiez ? Enfin je veux dire...vous semblez connaître beaucoup de choses, avec tous vos livres.

 

- C'est à l'Elfe étourdi qu'on s'est déjà aperçues, n'est-ce pas ?

 

- Oui, il me semble bien.

 

- Et bien si nous allions prendre un verre à la cafétéria du Muséum ? Je pourrais vous parler des Chants de gorge et du Pow-Wow. Ca vous dit ?

 

- En toute simplicité, c'est bien volontiers. Je meurs autant de curiosité que de soif ! A vrai dire, le dimanche à 17h,je ne peux pas me passer d'un bon thé. Ce sera avec grand plaisir ».

 

Mes pensées rejoignaient la vallée du Nil. Mystère-Nefer avait vraiment la classe et la démarche d'une reine !

 

Dans sa main gauche, deux livres serrés. Du premier, je n'arrivais pas à lire complètement le titre, caché par ses doigts. J'aperçus « ...du Rio de la plata »... Ca alors ! Mon cœur se mit à battre encore plus fort.

 

La croisière ne faisait que prendre le départ d'un long voyage, et d‘escales prometteuses.

 

Je n'avais pas envie de manquer ce bateau...

 

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19 août 2008 2 19 /08 /août /2008 15:08





Alexis Cohen, chanteur raté, devient parfois, la nuit, Mortimer Besamemucho. Medium et écrivain, il se tranforme alors en femme et se transporte à Séville ou ailleurs... Il fait des rencontre, imagine des personnages, se joue du temps, des lieux et des dieux. Le tango le happera bientôt...Voici venir le belle Flor...

 

Il pleut. Depuis cinq jours, il pleut. Le ciel est bas, gorgé comme une éponge. Il fait froid, un froid mouillé, incisif, qui vous boufferait jusqu'à la moelle des os.

 

Autour de moi pourtant, chacun s'agite, en rajoute. Moi, c'est Flor. Une fleur qui pleure et qui rêve.

 

En cette fin de journée qui ferait se pâmer d'envie un Louis-Ferdinand Céline, ils sont là, les chercheurs de soleils anisés, les sniffeurs de cannelle et de girofle du vin- chaud. Comme chaque soir, ça prend le large, çà tire des bords, çà fait du vent et cherche un havre et quitte des ports.

 

Au Colibri-qui-dort, Muguette tient la barre, ancrée là depuis bien avant nos mémoires. Rien à dire sur elle, si ce n'est qu'elle est toujours là, impassible, efficace. Dès le lever du jour, le Colibri-qui-dort se réveille. Entre les petits noirs et les blancs limés, on essaye d'ouvrir le lendemain de la veille, on s'élance, on se pousse, on espère, on renâcle. Muguette navigue de table en table, accomplissant les heures. Le Colibri et elle semblent faire peau commune. Quand la journée s'achève, les lumières s'éteignent, et Muguette retourne à sa nuit.

 

Moi, je me tiens sur la rive à me demander ce que je fais là. Si elle ne m'avait pas harponnée en bas de chez moi, je serais coucouche-panier-papatte-en-rond-rêver-nonosse.

 

- Allez, viens ! pas longtemps, boire un verre

 

- Lâche-moi, j'ai la houle !

 

- Ben justement, après un petit verre, vogue la galère, et mer belle !

 

 

Elle, c'est Bulle. Ne vous y trompez pas en la voyant siroter son thé. Sous ses airs tranquilles, posés, retenus, Bulle, c'est un feu d'artifice, une pinata généreuse. Pas besoin de la pendre et de taper dessus pour qu'elle nous livre ses trésors, sa pétillance. Bulle se nourrit d'étincelles qu'elle recycle en sucreries colorées. C'est un monde cette femme-là, que dis-je, un monde ? Elle universe, elle big-bangue.

 

 

Depuis que je l'ai rencontrée à un concert de chants inuits, je la vois négocier le périlleux grand-écart entre magnificence et manque d'assurance. Bulle, c'est comme une supernova qui petite- fourmille.

 

Ce soir, c'est pas l'jour. Trop d'impacts, de rendez-vous « urgentissimes » où chacun se sent mandaté pour changer la face du monde. La pire engeance, ceux qui pensent qu'ils vont faire basculer de quelques degrés l'axe de la planète. Aucun effort ne doit être ménagé, tout doit être mis en œuvre. TOUT, c'est vous : du mineur de fond au matériaux de base, en passant par la chaîne industrielle. Le produit fini, orphelin de père et de mère, trouve à sa naissance des bonnes fées adoptives.

 

- Tu sais, Bulle, ce soir je suis en cale sèche, plus je fais des gosses, plus je me sens stérile !

 

- Tu travailles trop, Flor, tu n'arrêtes pas. Tu vois, ce soir, il a presque fallu que je te kidnappe.

 

- Et puis ce soir, ce temps de chien, la pluie, le froid ! Il fait un temps à pleurer du tango.

 

- ... !

 

- Et d'où vous la tenez, cette expression ? Vous connaissez, le tango ? Vous le chantez ? Vous le dansez, pour pouvoir dire qu'il est triste à pleurer ?

 

Visiblement, Muguette qui desservait la table voisine, n'a rien perdu de notre conversation. Cela à l'air de produire de l'effet. Elle redresse son 1m60, gesticule, gonfle la voilure. « passion...beauté... », c'est pourtant vrai, qu'elle deviendrait presque belle ! « porter fièrement, totalement, oui, totalement sa personne dans des bras ! ». je n'entend que des bribes. Sa transformation me laisse sans voix. De toute façon, Muguette n'attend pas de réponse, elle est lancée. Ca semble venir de loin, profond. Avec une énergie incroyable, le flot se libère, se répand. Rien ne semble pouvoir l'arrêter.

 

Pourtant, brusquement Muguette se fige, se raidit, hagarde. Elle jette un regard circulaire sur la salle qui est là retenant son souffle, frotte son tablier de ses petites mains noueuses.

 

- C'est rien, petite, faites pas attention...

 

- Je ne...

 

- C'est rien, je vous dis, des bêtises

 

- Comme vous étiez belle, en parlant du tango !

 

- C'est bien loin, tout ça, allez, qu'est-ce que je vous sers, vous reprenez un café ?

 

Elle nous laisse là, Muguette, isolées Bulle et moi, chacune dans notre monde.

 

 

Alors, comme émergeant des brumes, reviennent à ma mémoire des paroles que je croyais oubliées.

 

Volver...con la frente marchita,

Las nieves del tiempo blanquearon mi sien...

Sentir...que es un soplo la vida,

Que veinte anos no es nada,

Que febril la mirada, errante en las sombras,

te busca y te nombra.

Vivir...con el alma aferrada

A un dulce recuerdo

Que lloro otra vez.

 

 

Revenir...avec le front flétri,

les neiges du temps ont blanchi mes tempes...

sentir...que la vie est un souffle,

que vingt ans ne sont rien,

que le regard, fébrile, errant entre les ombres,

te cherche et te nomme.

vivre...avec l'âme enferrée

à un doux souvenir

que je pleure à nouveau...

 

 

 

Lorsque je lève la tête, Bulle me regarde:

 

- Qu'est-ce que tu chantes ?

 

- Du tango

 

- Tu connais le tango ?

 

- Oui, non, je ne connais pas, c'est un vieux souvenir...un joli souvenir. Une voix douce et grave qui m'apaisait au berceau.

 

- Comme c'est émouvant ! Que c'est drôle ! Toi qui voulait rêver nonosse, et voilà que Muguette pète un câble et exauce tes souhaits. C'est génial la vie, tu ne trouves pas ?

 

Hou ! Voilà la Bulle qui s'élance version extase, les yeux pleins de lumière. En général, cela annonce un réveil d'énergie intarissable. C'est comme la migraine, il faut l'arrêter tout de suite, sinon, ça prend de l'ampleur.

 

- Tu t'allumes, ma belle, mais ce soir, je suis cuite, on en reparlera, si tu veux.

 

- On se rentre, alors ?

 

- Oui, on se rentre, ce soir est un soir à rêver le tango.

 

 


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Yo adivino el parpadeo

de las luces que a lo lejos,

van marcando mi retorno... 

Son las mismas que alumbraron,

con sus palidos reflejos,

hondas horas de dolor.

Y aunque no quise el regreso,

siempre se vuelve al primer amor.

La quieta calle donde el eco dijo:

Tuya es su vida, tuyo es su querer,

bajo el buron mirar de las estrellas

que con indiferencia hoy me ven volver...

 

Volver,

con la frente marchita, 

las nieves del tiempo

platearon mi sien... 

Sentir... que es un soplo la vida, 

que veinte anos no es nada, 

que febril la mirada

errante en la sombras 

te busca y te nombra. 

Vivir,

con el alma aferrada 

a un dulce recuerdo,

que lloro otra vez... 

 

Tengo miedo del encuentro 

con el pasado que vuelve 

a enfrentarse con mi vida... 

Tengo miedo de las noches 

que, pobladas de recuerdos, 

encadenan mi sonar... 

Pero el viajero que huye 

tarde o temprano detiene su andar... 

Y aunque el olvido, que todo destruye, 

haya matado mi vieja ilusion, 

guardo escondida una esperanza humilde 

que es toda la fortuna de mi corazon.

 

Vivir... con el alma aferrada 

a un dulce recuerdo 

que lloro otra vez... 

I imagine the flickering

of the lights that in the distance

will be marking my return. 

They're the same that lit,

with their pale reflections,

deep hours of pain 

And even though I didn't want to come back,

you always return to your first love

The tranquil street where the echo said

yours is her life, yours is her love,

under the mocking gaze of the stars

that, with indifference, today see me return .

 

To return ,

with withered face, 

the snows of time

have whitened my temples. 

To feel... that life is a puff of wind, 

that twenty years is nothing, 

that the feverish look,

wandering in the shadow, 

looks for you and names you. 

To live...

with the soul clutched 

to a sweet memory 

that I cry once again

 

I am afraid of the encounter 

with the past that returns 

to confront my life

I am afraid of the nights 

that, filled with memories, 

shackle my dreams.

But the traveler that flees 

sooner or later stops his walking 

And although forgetfulness, which destroys all, 

has killed my old dream, 

I keep concealed a humble hope 

that is my heart's whole fortune.

 

To live... with the soul clutched 

to a sweet memory 

that I cry once again

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15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 08:39

 

Une chambre noire , hermétique. Je m'appelle Bulle.

Tiédeur étouffante de la promiscuité. Heureusement, pas un claustrophobe à la ronde. Que des volontaires , semble-t-il . Chacun cherche la meilleure place dans cet espace confiné, se faufile , se colle un peu gêné aux voisins, déjà assis en rangs serrés. En fait pas en rangs, mais en ronds comme au cirque. . Concentration de silhouettes empressées, aussi grégaires qu'étrangères. Les voix s'emmêlent en un brouhaha bigarré, d' accents dépareillés.

Bourdonnements retenus du groupe émoustillé, tendu par l'attente de ce qui va se produire. Des initiés aux novices, la tension se propage de façon animale dans le groupe. Il y a ceux qui savent à quoi s'attendre, sans doute plus sereins, mais d'autant plus excités. Et beaucoup, pour qui, comme moi, ce sera la première fois.

Maladivement craintive, je n'aime pas trop les premières fois.

 

Si l'espace n'était rond, on pourrait se croire dans le carré, parmi les matelots de la Santa-Maria, attendant les dernières injonctions de l'Amiral, quelques instants avant leur premier grand départ . On imagine a posteriori leur effroi, ou pour les plus innocents, leur candeur enthousiaste. Un interminable voyage, semé d ‘embûches, ayant pour terme un gigantesque malentendu. Qu'on reconnaîtra plus tard comme une découverte lumineuse pour l'humanité.

 

Cinq cents ans séparent les deux événements. La traversée. L'expo.

Contre toute évidence, des liens pourtant se trament de l'un à l'autre .

Comme pour beaucoup de ces marins, sans doute, une bizarre spirale glacée s'insinue de ma glotte au bas de mon ventre. Sans trop que je sache pourquoi . Juste un profond malaise devant l'inconnu.

 

Pourtant, bravant mon inhibition coutumière, sur un coup de tête ( une intuition ? ) j'ai insisté pour être là. J'espère ne jamais le regretter. Je n'aime pas trop les prises de risques.

Au sol, une tache blanche ovale . Cinq mètres tout au plus dans sa plus grande longueur. Simulacre de rétine, autour de laquelle, tels cônes et bâtonnets voyeurs, les spectateurs s'impatientent dans leur globe obscur . .

J'essaie de me détendre.

 

En fait, je suis venue pour ça , me détendre. Erreur, là aussi. Moins grave à l'échelle de l'humanité, sans doute, que la fausse route des Indes .

 

Depuis hier , je ne vis qu'une course folle, éreintée et multicolore.

Et d'être brutalement assise là sans bouger dans le noir, me déstabilise .

Je n'aime pas l'inactivité non plus. Les vingt-quatre dernières heures m'ont gâtée !

 

Quand est-ce que ça va commencer ? Et puis au moins, est-ce que je vais aimer ça ? J'ai envie de partir.

A ma gauche, l'homme qui partage ma vie reste tranquille, je le trouve plutôt inerte, absent. Je parierais bien que ça ne va pas lui plaire.

Pourtant c'est grâce à lui qu'on a échoué là , sur ce gradin tapissé de moquette anthracite, à mille bornes de notre TV-canapé- tout- confort dans le Morvan .

Chez nous, j'ai mon abonnement au Théâtre municipal, tendu de velours grenat, et inondé de la lumière des gros lustres en cristal. Si on évite de s'installer juste en dessous, pas grand chose à craindre. L'année dernière, j'y ai même emmené ma belle mère écouter le Quarteto Cedron.

Je n'ai pas tout compris, mais ce qu'ils ont joué (des « milongas », je crois) divergeait beaucoup de l'idée que j'avais du tango.

Pour moi, le tango, c'était uniquement « la Cumparsita », écoutée mille fois dans l'enfance, sur un 33 Tours qui gratte, à l'âge où mes camardes gloussaient devant les Beatles.

Et aussi la couleur « Tango» , en vogue dans les années trente : un orangé très chaud, et profond, tirant sur le brun ocre.

 

Ici, pas de cristaux scintillants, pas de rouge , ni d'orangé. La pénombre me glace, me brasse.

 

Derrière nous, une grande femme silencieuse , à peine visible dans sa robe grise et moulante se glisse près du mur et s'y appuie en un parfait grand écart vertical. Puis un deuxième avec appui sur l'autre jambe.

Respect !

Je ne pensais pas être venue assister à une démo de gymnastique. Maintenant, ça me gêne carrément. Empotée comme je suis, la gym, je n'aime pas non plus. Qu'est ce que je fais là ?

 

La course à commencé avant-hier, chez le coiffeur, qui a mis trois heures à rater ma couleur. J'ai enlevé le plus gros à la Javel. Valait mieux pas.. mais partir avec cette tête, merci bien. Me ridiculiser parmi les autres épouses du « convoi ». Surtout qu'il y a toujours un moment en soirée, où il faut assurer, avec le pernicieux Madison des dames. Chacune cherche à débusquer à travers les déhanchements crâneurs, la domination ou le mépris des autres . Un faux pas, et c'est une année de disgrâce qui s'annonce pour le conjoint.

 

Sur le trajet du départ, se croyant enfin en week-end, enfants casés, on a pris le temps d'une pause- café à Nemours. Peu après, appel irrité du boss, sur le téléphone de la voiture. « mais qu'est-ce que tu fous , Klaus ? On est tous en salle d'embarquement, il ne manque plus que vous ! Magne toi ! » Klaus, les mâchoires serrées, a poussé très fort la Giulietta.. Blême, j'ai pensé aux enfants, au fil ténu de la vie, aux accidents stupides, à mon boulot à l'hosto, puis à plus rien, déjà paralysée par la trouille, De toutes façons, je n'aime pas le café. J'aurais dû refuser cet arrêt. Je n'aime pas les excès de vitesse non plus.

Parking de l'aéroport bondé, impossible d'arriver avant le décollage ? Klaus, qui n'a au quotidien rien d'un casse cou, donc pas vraiment la technique d'un James Bond, gravit subitement par le côté de la sortie du parking, le plan incliné en spirale à contresens.

Rarement eu une telle frayeur ! Je l'ai dit, je n'aime pas le risque. Mieux vaut ne pas penser à l'avion .

Accueil à l'Hôtel Colon.

C'est parti pour un tourbillon d'images, de couleurs, de sons d'odeurs....De la morue fumée sur les toasts de bienvenue, aux énormes robinets de laiton de la baignoire ancienne, nous reprenons vie peu à peu. Sérénade au dîner. Flamenco en soirée...

Et hier grande visite touristique en calèche .

Tout le parcours du primate moyen, short ou bob blanc, derrière ses lunettes de soleil. Je n'aime pas le soleil.

Mais toute honte bue, qu'est-ce que j'aime respirer ces effluves (fleurs, fritures, caniveaux bien lavés..) et ces couleurs ! Les orangers du quartier juif, les patios aux géraniums triomphants de lumière, les fontaines, les azulejos. Et enfin les ruissellements d'or et la forte odeur de cierge pénitent, de la très pieuse Giralda. La guide nous apprend patiemment à prononcer, avec des sons impraticables : « la HHH-i-RRR-à-LLL ...da ! ». Mon année de cours du soirs en Espagnol ne suffira pas à dialoguer avec les gens de la rue, je le crains.

Il paraît qu'on peut y voir, dans la cathédrale, le crâne de Christophe Colomb enfant, ou une bizarrerie contestable dans ce goût là. Tandis qu'il faudrait traverser le pays, puis l'Atlantique pour appréhender ses autres reliques ? Mais le groupe ne s'est pas déplacé pour ça.

Enfant, j'ai eu l'insigne honneur, et néanmoins l'obligation de contempler Bernadette Soubirous dans sa chasse de Nevers, le Curé d'Ars, et une anonyme momie égyptienne. J'ai raté Lénine, sans regret. L'Amiral aussi se passera de moi.

 

Du folklore bien vivant, voilà ce qu'on veut ! De la guitare. Des autochtones burinés qui crient leur désespoir sur des airs de Flamenco, pendant que les femmes font tourner des mètres de tissu rouge ou jaune à gros pois.

De la couleur encore et des étourdissements, pour repartir bien remplis de clichés.

Epuisant.

Ce matin, très tôt, nous visitons le pavillon de la Suisse. Un groupe vocal génial : les Screaming Potatoes nous met en état d'éveil maximal. Puis celui du Mexique, pyramide entièrement recouverte de ma fleur préférée, le volubilis bleu. Reportage terrifiant sur la pollution à Mexico.

Et si pour se remettre, on allait à celui de l'Argentine ?

 

Autour de nous, les spectateurs suspendent leur souffle. J'ai faim, comme quand c'est l'heure, et quand je suis stressée.

Le silence se fait, déchiré par la plainte d'un bandonéon. Le couple s'avance, sévère et concentré, sans nous considérer. Lui en complet noir, elle en robe de jais fendue, talons hauts Cheveux plaqués, chignon tiré. Dans une totale austérité, rien d'autre à percevoir que le mouvement et l'émotion.

 

Au premier pas, un puissant frisson me parcourt, qui ne me quittera plus.

 

 

 

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12 août 2008 2 12 /08 /août /2008 13:53


Un soir, après une longue répétition de piano-voix,  Eric le pianiste me lance :

 

      - Ma copine Sandra  veut apprendre à danser le tango argentin. On peut passer la voir à son cours ce soir, ça te dit ?

 

  On avait beaucoup travaillé. Un peu d'air extérieur ne nous ferait pas de mal. Je m'entendis répondre :

 

     - Et pourquoi pas ?

 

  Moi, je suis comme ça : quand on me propose un truc nouveau, j'y vais, après je vois. En général, je prends ce qu'il y à prendre et je me tire plus ou moins vite. J'ai fait ça quinze fois, avec le yoga, l'acuponcture, mai 68, l'université, la cuisine asiatique, la science du bonzaï, le bricolage, ma belle-mère, le chien du voisin, la bande dessinée, l'iridologie, le massage de Thaïlande, les blinis scandinave, le caviar à la louche, les vacances à la plage et la philosophie boudhiste. J'écoute, je regarde, je lis en commençant par le sommaire et la fin, je goûte sans vraiment montrer que c'est du bout des lèvres, je fais semblant de participer un peu (seuls quelques rares perspicaces me débusquent dans l'instant), et je me casse vite fait.  Ouf ! Terminé ! Vive la consommation de loisir et halte aux gourous de tous poils !

 

  Donc on y est allé, au cours de tango argentin, avec mon pote Eric et ma vieille moto Honda 400. On a mis nos casques, bien sages, on était plein de sa musique classiques et de mes mots cassés, et on est tombé en plein milieu d'un cours de débutants, genre première leçon donné par le maestro et sa divine compagne. On rigolait. On leur a mis un souk pas possible, c'est toujours comme ça avec mon pote Eric, dès qu'on mets le nez dehors ensemble, je sais pas pourquoi, on perturbe tout. Le prof nous a fait comprendre qu'on devait se calmer, nous on voulait danser tout de suite, on est les meilleurs, tu vas voir la nana, elle va se pâmer dans mes bras illico ! Deux braillards de soldat en permission d'un soir.

 

  La chute a été, comment dire, brutale et imprévue. Au sortir de la classe (ça dansait dans la salle de classe d'une Ecole élémentaire, tu vois l'ambiance..), on a embarqué la copine Sandra, une autre écervelée et les deux pro-tango pour jouer chez moi, là où on avait répété nos chansons. Une sorte de studio d'enregistrement minable dans un ancien garage, avec une petite scène et des lumières et tout.



Eric a joué son classique façon tango. Cet animal, dès qu'on le mets devant un piano même sans queue, il en tire des musiques à danser, et à rire, et à rêver parfois, si on l'a bien shooté avant au coca-cola ! J'ai invité Sandra, qui devait avoir à son actif une leçon et demie, elle m'a expliqué ce qu'on allait faire, moi, et surtout elle. Pour moi, je n'ai rien retenu, parce que elle, elle m'a directo posé ses superbes nibars sur ma modeste poitrine, j'en ai encore des frissons, camarades ! De l'émotion pur sucre. Elle m'a dit que c'était comme ça qu'il fallait danser, moi, j'ai dit oui bien sûr et j'ai fait de mon mieux, j'en menais pas tellement large, il me fallait gérer tout à la fois, et sa poitrine ferme, et mes pieds défaillants, et la musique en tête, et l'émotion rivée. Elle paraissait heureuse. Moi je planais, petit, je m'envolait dans ma tête, tu peux pas comprendre.

 

  Que s'est-il passé, après ? Heu, rien, on a regardé danser les deux maestro dans leurs figures vives, élégantes ou lascives, et on a rebu du coca. Ah oui, j'oubliais, la belle Sandra a chauffé mon pianiste à blanc, elle se l'ai un peu beaucoup dégusté, normal, tout travail mérite salaire, et il avait super bien joué pour nous amuser. Ce qui est vicieux avec les musiciens, c'est que tu crois qu'ils sont ligotés à leur instrument, vissés au piano, scotché à la batterie, comme neutralisés par leur musique. Du coup, tu t'imagines qu'ils ne sont pas en position d'être des concurrents sérieux par rapport à la meuf que tu vises.  Et tu te trompes, couillon, car après qu'ils t'aient fait danser, ils s'arrêtent, ces salauds, et du coup ils récupère leurs pieds et leurs mains, avec en plus le prestige ! Eric et Sandra partirent ensemble. Rideau.

 

  Adieu Sandra.

     - Chao Eric, on répète quand déjà, ah oui, comme d'habitude, vendredi 13h30, OK d'accord soyez heureux !

 

  Tu parles. Je riais jaune, juste un peu. Salaud de pianiste.
 

Un bon copain, hein, quand même. Et un putain de musicos qui me mettait des tempos géniaux sur des textes pouraves.

 

     - Salut Alexis, et merci pour le coca !

  Mais quel coca ? Basta la soirée, je vais me coucher.

  Adieu Sandra, illusion vraie d'une rencontre tactile. Tango si ? Tango no ?  Je balançais pas mal, ce soir là, prévoyant déjà, dans ma tête partagée, bien des contradictions, des souffrances, des humiliations, et quelques vagues espoirs de bonheur fort. 

 

  C'était il y a un an. Depuis, je n'ai plus arrêté. Pas Sandra. Le tango. Et je ne sais pas bien pourquoi je me le danse jusqu'à cinq nuit par semaine. Je dors le jour. Je vis la nuit, sortant de mon garage comme une bête parfumée pour roder vers les milongas d'une ville transformée.  C'est de l'addiction, non ? Ha ha, et ce n'est pas encore interdit par les Mormons américains et le droit communautaire, comme pour le tabac. On est pas encore obligé de se coller une étiquette sur le ventre : « Danser le tango nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage. » Ou bien : « Danser débouche certes les artères mais peut provoquer des crises cardiaques et des attaques cérébrales. » Ou encore : « Danser provoque le cancer mortel de la rate au court bouillon. » Et le fatidique : « Le tango tue. »

Je suis allé me coucher, et j'ai rêvé à ce truc magique. Magie de la musique, magie des corps qui s'enlacent sans se prendre, magie des mots qui nous manquent pour le dire, magie du silence de la nuit quand, jambes fatiguées, esprit trop alerte, on ne peut pas encore dormir, non, pas tout de suite, il faut que la tension retombe, et que le corps s'apaise. Monde à part, résumé incorporé de tous les mondes. Que vive l'imaginaire et le réel du tango, ensemble ou séparés, que m'importait ! 
 
    

 

Dans mes rêves agités, cette nuit là, j'ai vu passer des ombres pâles, des visages blêmes et des cœurs tendres. Des corps à prendre dans ses bras. Des litanies de musiques scandées. J'ai conçu un roman fou, qui serait écrit par tout plein de personnages que je croiserais bien un jour, ou plutôt une nuit. Je voulais les rencontrer, tous, à travers leurs écritures variées et leurs fantasmes étranges, pas les miens, les leurs. On y mêlerait nos espoirs, nos souvenirs et nos émois, et l'histoire qui s'y raconterait serait imprévisible. Elle partirait de ce premier chapitre, et nul ne saurait où elle irait. On voyagerait dans les têtes des autres, hommes et femmes, dans les cours et les pratiques, dans les stages et les voyages, dans les tempos et les solfèges incorporés.

 

Un rêve, je te dis. Un rêve écrit en français dans le texte. Moi, c'est Alexis mon nom de jour. La nuit, quand je ne danse pas, je rève. Je deviens alors un autre : Alexis COHEN se transforme en Mortimer BESAMEMUCHO.

Cette nuit là, j'ai révé. J'ai révé à Bulle, une rencontre : je suis devenue elle. Le chanteur raté que je suis a des dons de médium.   

 

 

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