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  • : Ce site / blog artistique et ludique a pour vocation de présenter mes productions, et celles d'auteurs invités : livres, poèmes, chansons, nouvelles, expositions, billets d'humeur sur la vie culturelle, politique, sociale et juridique, émissions de radion, compositions musicales électro-acoustiques.
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3 décembre 2006 7 03 /12 /décembre /2006 17:40

 

EXPO PHOTO La Justice et son Double - L'Atelier du projet 2

Véronique est morte

Véronique est morte

Véronique est morte

Et il vit

Le salaud
Il vit son assassin
Qui des ses coups de bottes
Pétrifia son destin
 
Véronique est morte
Véronique est morte
Et le voilà héros
Sur cette scène ignoble
Où il ose être beau
 
Véronique était morte
Véronique était morte
Et les juges humanistes
Et les experts psycho
Les avocats moirés et les témoins bigots
Ne savent pas pleurer
 
Ils n'auront que des mots
Langue de bois du droit
Trémolos d'un trépas
 
Véronique ma fille
Véronique ma fille
Ecartelée voulue
Par un monstre sangsue
C'était deux enfants nus
 
Mais Véronique est morte
Mais Véronique est morte
La fureur meurtrière
Faucha son vol d'oiseau.
 
 
 
C'était il y a longtemps, à la Cour d'Assise.
J'étais l'avocat d'une jeune fille violée et
assassinée, ou plutôt l'avocat de ses parents.
Une jeune et jolie jeune fille de seize ans,
Véronique.
 
Son meurtrier n'était pas beaucoup plus vieux
qu'elle, dix neuf ans peut-être. Il était beau
aussi, comme un éphèbe grec. Peut-on être
beau et violeur ? Oui. L'audience fut terrible,
mais digne, au delà des inévitables petitesses
qui sont le lot des hommes, et de la lourde
condamnation qui vint justement sanctionner
le bel et horrible coupable.
 
En sortant du tribunal, à minuit, sonné et
comme ivre de la rudesse de cette trop longue
journée, j'écrivis ce poème, dédicacé à Véronique
certes, mais aussi à notre folie criminelle à tous.
Tout le monde peut tuer.
 
Nous sommes tous des assassins.
 
Les souvenirs et les images restent parfois
imprimés dans nos esprits de longues années,
le jour et la nuit. Les métiers judiciaires sont
violents. Celui d'avocat au pénal tout
particulièrement. Projetter ces souvenirs et ces
images dans un travail qui les dépasserait, c'était
peut-être la solution à ces tourments. 
Alors me vint l'idée, au bout de ce
cheminement, de confronter avec
mon matériel de photographie ce
qui avait fait beaucoup de ma petite
vie : et la beauté des femmes et celle
d'un regard bref, et la robe de
fonction, noire d'un jais judiciaire,
et la seule nudité pour revenir
aux sources.
 
Confronter le noir, le blanc et la
couleur, l'argentique et le
numérique, la toge du plaideur à
la nudité de son client, le diable et
le bon dieu, l'endroit et l'envers,
la lumière et les ombres, le réel
et l'imaginaire,l'homme et la
femme, le conscient et
l'inconscient.
 
Et pourquoi pas, m'objectera-t-on,
la pensée et la langue, le cru et le
cuit, les gendarmes et les voleurs,
la langue du droit et celle de la
poésie, trucmuche et son contraire,
bidulette et son double ?
 
Oui, en effet, pourquoi pas ? Dans la
pesée  contradictoire et simili
juridictionnelle de cette  série
d'oppositions, ce ne serait pas
l'institution qui, pour une fois,
trancherait, mais chacun, dans
son for intérieur, à l'issue d'un
débat où l'émotion du corps et
du regard viendrait se heurter à la
nécessaire rigidité des textes.
 
Dans la poésie, dans la peinture,
dans tous les arts qui parlent
à l'imagination, et dont le but est
d'instruire et de plaire, c'est
toujours sous le voile de l'allégorie
que la morale présente aux hommes
des vérités consolantes, des
préceptes utiles, et l'histoire
emprunte souvent le même langage.[1]
 
En faire un livre, et une expo,
montrer les corps des justiciables face à des robes de basoche.
Confronter la fonction de juger,
de défendre - avec ses apparats -
à celle d'être défendu, et jugé, et
violé dans ses intimités. Pour la
bonne cause bien sûr : celle de la
vie ensemble, des règles indispensables
au fonctionnement social, bien juger bien
punir, acquitter faute de preuve ou 
condamner petit parce que le doute est
petit (selon l'horrible adage  petit doute,
petite peine), tout existe,
même et surtout le pire qui n'est jamais
exclu. Justice humaine imparfaite on
vous dit.
 
Outreau. Pauvre petit juge
BURGAUD lynché médiatiquement pour avoir
fait comme les autres,
rien de plus, rien de moins, joli bouc
émissaire d'une société malade.
 
Mais le bouc ici est un homme, pas un
animal comme dans la Bible, où le rite
sacrificiel éloignait nos ancêtres
de leurs iniquités[2].
                                               
Pas plus petit que les autres, BURGAUD,
juste jeune et sans doute conformiste,
mais  pourquoi voudriez vous que vos
juges ne soient pas en majorité
conformistes ? Que leur demande-t-on
d'autre que de se conformer à la loi du
moment, aux codes sociaux actifs,
aux habitudes acquises ?
 
Souhaitons que son sacrifice sur l'autel
du bien penser, son quasi suicide
organisé par nos parlementaires et nos
journalistes, ne l'ait pas cassé, l'ait
peut-être grandi[3].
 
On voudrait qu'il écrive son histoire de
mediamartyr, qu'il règle ses comptes
même s'il devait y laisser des plumes.
Qu'il se défende en prenant enfin
l'initiative. Est-ce trop lui demander ?
 
En faire un livre et une expo que les
gens regarderont et qui fera parler,
et débattre de nos systèmes judiciaires
prétentieux et souvent sans les moyens
en hommes et en argent que l'ambition
- juger le moins mal possible-
postulerait. Mais les hommes et les
femmes politiques se moquent de la
justice, sauf quand elle leur est opposée :
aucune rentabilité électorale à court ou
moyen terme, la cause est hélas
vite entendue. [4]
                                                     

[1] GRAVELOT et COCHIN, Iconologie, Paris, 1797.
 
[2] La Bible, traduction d?André CHOURAQUI, Paris,
Desclée de Brouwer, 1989.
 
[3] Le juge BURGAUD était un très jeune magistrat
instructeur français saisi d'une affaire de pédophilie
apparemment grave. Il mit en détention préventive,
avec l'aval de juridictions supérieures, de nombreux
inculpés mis en cause par des enfants et des
adultes. A la suite d?une campagne de presse et
d'une relaxe générale réclamée par le Parquet
lui-même, ce magistrat fut entendu,
medias présents, par une Commission d'Enquête
parlementaire. L'image passée en boucle sur les
chaînes de télévision d'un juge contrit entouré
de deux avocats muets reste dans ma mémoire
non comme une preuve de santé démocratique,
mais comme celle d'une maladie sociale grave
que l'on prétendrait soigner avec de la poudre
de perlimpinpin médiatique. Si la Commission
d'Enquête modifie en profondeur le fonctionnement
de la police judiciaire et de la justice pénale, je me
 fais moine.                                            
 
 
 
[4] La justice française est assez moderne mais honteusement
pauvre. Nous
avons dix juges
pour cent mille
habitants, contre
vingt cinq en
Allemagne.
Rapporté au
produit
intérieur brut (PIB),
l'effort
budgétaire
qui
est consacré
au système
judiciaire public
place la France
au vingt neuvième
rang sur
le continent
européen. Le pays
lui consacre
cinquante et un
euros par an et
par personne,
la moitié de ce
que nos voisins
allemands dépensent.
 
Si son aide judiciaire (assistance que l'état fournit
aux personnes qui n'ont pas les moyens financiers
suffisants pour se défendre elles-mêmes devant
un tribunal) est assez bien dotée, la rémunération
des avocats à ce titre est notoirement faible et
fait supporter aux moins riches d?entre eux une
véritable charge de service public. Les magistrats
non professionnels y sont beaucoup moins
nombreux qu'en Grande Bretagne où la grande
majorité des litiges est réglée par les "magistrates",
citoyens bénévoles. La Convention européenne
des droits de l'homme proclame que toute
personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, publiquement et
dans un délai raisonnable : les procédures
de licenciement devant les Conseils de
Prud'homme et de divorce devant les
Tribunaux de Grande Instance sont chez
nous parmi les plus longues d'Europe. Outre
le budget de l'Etat qui devrait au moins
être doublé à moyen terme, une culture
de l'évaluation pourrait avantageusement 
être développée : questionnaires aux        
usagers à la
suite des
audiences,                         
enquêtes de
satisfaction,
renforcement
des procédures
disciplinaires
contre les
magistrats
(faute
déontologique
ou
insuffisance
professionnelle),
avec garantie
de leur indépendance, comme aux Pays-Bas,
en Belgique ou en Espagne. (Sources :
Le Monde du 6 octobre 2006, enquête de
la Commission européenne pour l'efficacité
de la justice et interview de Jean-Paul JEAN,
Magistrat, Président du groupe des experts
de la CEPEJ.)
        
 
 
 
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