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  • : Ce site / blog artistique et ludique a pour vocation de présenter mes productions, et celles d'auteurs invités : livres, poèmes, chansons, nouvelles, expositions, billets d'humeur sur la vie culturelle, politique, sociale et juridique, émissions de radion, compositions musicales électro-acoustiques.
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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 03:29

Buenos-Aires-2010 0473

BsAs, mardi 15 juin 2010.

M. Hublot insista, cette après-midi, pour que je l'emmène au Café Tortoni, haut lieu des écrivains et artistes, Café de Flore du Rio de la Plata. C'était à deux pas de la Casa de Familia. La brasserie était bondée : américaines en goguette portègne, australiens vigoureux retour des lacs gelés de Patagonie, françaises volontaires d'une ONG pour ramasser des crabes hibernants, touristes du monde entier, et, probablement, ici et là, quelques artistes désœuvrés venant là boire leur "ultimo café".

Comme il se piquait de parler le castellano portègne beaucoup mieux que moi -ce qui n'est pas tout à fait faux-, Hublot tomba en admiration devant ce texte, tout simplement imprimé sur le menu de la brasserie :

A pesar de la lluvia yo he salido
a tomar un café. Estoy sentado
bajo el toldo tirante y empapado
de este viejo Tortoni conocido.

Cuantas veces, oh padre !, habrás venido
de tus graves negocios fatigado,
a fumar un habano perfumado
y a jugar el tresillo consabido.

Melancólico, pobre, descubierto,
tu hijo te repite, padre muerto,
Suena la lluvia, nublase mi ojos.

sale del subterráneo alguna gente,
pregona diarios una voz doliente,
ruedan los grandes autobuses rojos.

- Baldomero Fernandez MORENO, 1925, me dit-il à travers ses lunettes.
- Hublot, tu comprends vraiment ce texte ?
- Mais oui, Alain, tu vois bien que l'auteur y parle de la pluie, des havanes et de la mélancolie ...
- Es-tu mélancolique, Hublot ?
- Oui, Alain, j'ai parfois l'impression que tu me comprends mal, trouvant par exemple du snobisme là où il n'y a qu'intérêt pour les gens et le monde.

Buenos-Aires-2010-0595.jpgM. Hublot, selon un artiste exposé sur les murs de la Tortoni.

Je restais silencieux, replongeant dans mon chocolat chaud et onctueux. Lui avait pris un cognac ! Il le tournait dans son verre, en admirait les couleurs chatoyantes, le sirotait en prenant de grands airs. J'avais l'impression qu'il cherchait à me dominer. Il feuilletait la documentation du lieu, qu'il avait demandé au garçon, et crut devoir me traduire ceci :

"Sa Majesté Le Roi d'Espagne Don Juan Carlos de Bourbon visita le Café Tortoni le 19 octobre 1995 à 11 heures. A cette occasion, la médaille commémorative du 130e anniversaire du Café lui fut remise.

Don Juan a paraphé le Livre d'Or de l'établissement, et y porta ces mots (traduits encore par M. Hublot à mon intention) :

" Au Café Tortoni, qui a su conserver la saveur d'autrefois, quand ici se réunissaient les intellectuels argentins, et espagnols aussi, comme Federico Garcia LLorca, et à présent quand on vient d'Espagne, on se retrouve dans ce café, comme un salut plein d'affection."

Hublot fit tinter son verre de cognac pour appeler le garçon en veste noire, et réclama lui aussi le Livre d'Or ! Ce qu'il y écrivit ne m'est pas connu à ce jour, Hublot resta secret sur ce point malgré mes sollicitations discrètes. Il affectait un air supérieur, comme si, de pauvre hublot myope comme une taupe et laid comme un crapaud accidenté de la route, il était en route pour une mutation et physique et mentale.

Il poursuivit ses lectures :

Por la que el Tortoni
es, y sera ! y fue,
melancolicamente
le tiendo un invisible puente
-romantico y porteno
y bien demente-
a la gente
linda a la mesa de al lao
y les voleo mi corazón
piantao
y me bebo otra canción,
otro sueno,
otro café.

- Horacio Ferrer, jetta-t-il, sans me regarder cette fois.

Il commanda alors un café, pour compléter son cognac, et se mit à chanter doucement, dans un espagnol poétique et scandé comme un tango mélancolique :


Llega tu recuerdo en torbellino,
vuelve en el otoño a atardecer
miro la garúa, y mientras miro,
gira la cuchara de café.

Del último café
que tus labios con frío,
pidieron esa vez
con la voz de un suspiro.

Recuerdo tu desdén,
te evoco sin razón,
te escucho sin que estés.
"Lo nuestro terminó",
dijiste en un adiós
de azúcar y de hiel...

¡Lo mismo que el café,
que el amor, que el olvido!
Que el vértigo final
de un rencor sin porqué...

Y allí, con tu impiedad,
me vi morir de pie,
medí tu vanidad
y entonces comprendí mi soledad
sin para qué...

Llovía y te ofrecí, ¡el último café!

Buenos-Aires-2010-0465.JPG


El último café, me confia-t-il ensuite, est un tango écrit par Cátulo Castillo sur une musique de Héctor Stamponi.

Stupéfait de ses connaissances, ému aussi par sa voix chaude et capiteuse, je le questionnais :

- Mais où as-tu appris à chanter ainsi, Hublot ?

- Je sais depuis toujours ! Ceci, Alain, sera le dernier café que tu offres à M. Hublot. A partir de maintenant, je suis El Senor Ojo de Buey, à qui tu dois le respect.

Et je le vis, séance tenante, se transformer miraculeusement en un bel homme brun et svelte, dont les yeux de velours attiraient les plus belles femmes alentours.

Buenos-Aires-2010 0465-copie-1

Les ancêtres présents, auteurs, compositeurs, voyageurs et garçons approuvèrent le miracle, et l'applaudirent longuement.

Buenos-Aires-2010-0559.jpg

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